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mieux connu ou aimé que le reste, et par exemple, en particulier, sur la société, sur la civilisation, sur la littérature. Deux livres au moins de Corinne : le sixième, sur le Caractère et les mœurs des Italiens, et le septième, sur la Littérature italienne, sont comparables aux meilleurs chapitres de la Littérature ou de l’Allemagne ; et qui ne les connaîtrait point ne saurait pas tout ce que Mme de Staël a fait pour répandre parmi nous la connaissance et le goût des littératures étrangères. Le quatorzième et le dix-septième : Histoire de Corinne et Corinne en Écosse, dans un autre genre, doivent être assurément de fidèles peintures de la vie de province en Angleterre, à la fin du siècle dernier, puisque les Anglais eux-mêmes en ont loué l’exactitude. Lady Blennerhassett, à cette occasion, cite un jugement curieux de sir James Mackintosh, — auquel je renvoie le lecteur.

Car, en parlant des romans de Mme de Staël, nous n’en avons voulu mettre ici en lumière que les mérites qui sont vraiment siens, uniquement siens, qu’elle ne partage avec personne, et ainsi dont elle a la première enrichi le roman. Si donc on est curieux de connaître les autres, on lira Delphine et on lira Corinne, à moins encore que l’on ne se borne aux analyses qu’en ont données Vinet, il y a déjà longtemps, dans ses Études littéraires, et depuis lui M. G. Merlet, dans son Tableau de la littérature sous le premier empire. Si c’est plutôt aux circonstances de la publication de ces romans fameux que l’on s’intéresse, comme encore si l’on tient à savoir ce que Mme de Staël y a mis d’elle-même, on lira les trois volumes de lady Blennerhassett, où l’on trouvera quelques faits et beaucoup de textes assez peu connus en France. Et enfin, si l’on veut se faire une idée générale delà philosophie de Mme de Staël, de son influence européenne, de sa part dans ce que j’appellerai la formation de l’esprit général du XIXe siècle, on lira l’Étude de M. Emile Faguet. Pour nous, un peu lassés de la critique biographique, et surtout fâchés du tort qu’elle a fait, qu’elle fait encore tous les jours à la connaissance des œuvres, il nous a paru intéressant de chercher ce qu’il y avait de moins dans la Nouvelle Héloïse que dans Delphine ou dans Corinne ; ce qu’il y avait de plus dans Indiana, dans Valentine, dans les romans de la première manière de George Sand que dans ceux de Mme de Staël ; et d’esquisser ainsi un chapitre de l’histoire du roman. La publication de l’ouvrage de lady Blennerhassett était une occasion trop favorable pour la laisser échapper. J’ajoute seulement, par acquit de conscience, qu’entre la Nouvelle Héloïse et Delphine, il faudrait, pour être complet, parler aussi des romans de Mme Riccoboni et de ceux de Mme de Charrière, — je ne dis rien d’Atala ni de René qui sont des poèmes, — et qu’entre Delphine et Indiana, il faudrait dire quelques mots d’Oberman et d’Adolphe.


F. BRUNETIERE.