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se trouva seul à Breda dans une situation très gauche dont il ne craignait pas de faire ressortir l’inconvenance.

S’il eût écouté d’Argenson, il eût fait lui-même le voyage de La Haye pour y entrer dans des conversations privées, soit avec les diplomates, soit avec les magistrats, sonder les esprits et faire des ouvertures. Mais au premier mot qui lui fut dit de ce déplacement, il s’exprima sur une telle idée dans des termes plus insolens que s’il y eût répondu par l’annonce d’une désobéissance formelle : — « J’irai à La Haye, puisque vous le voulez, quand le ministre d’Espagne y sera arrivé,.. mais permettez-moi de vous demander à quel titre et comment je pourrai y paraître dans un temps où vous avez tout à craindre des désagrémens qu’on pourra chercher à donner au ministre du roi, qui, dans la règle, n’est hors de Breda qu’un homme de condition… Je ferai ce que vous voudrez et je tâcherai de jeter un voile de gaze sur tout ce que j’envisage qui pourrait arriver… Au reste, je ne ferai pas ce voyage de sitôt. Je me donnerais bien de garde de débarquer à La Haye tant que M. le duc de Cumberland y sera et dans un moment où ce prince, à la tête de ses officiers généraux, et des ministres des alliés, forme une espèce de conseil pour les opérations militaires. Toutes les rues de La Haye en retentissent d’avance et toute la crédulité populaire regarde déjà cette époque comme l’humiliation de la France. Il faut laisser passer cette crise, et si d’ici là les adversaires font quelque démarche qui marque au moins des attentions et des ménagemens pour le roi, je saisirai cet instant pour mettre un peu plus de douceur dans les miennes. Il ne faut pas vous flatter, monsieur, de rattraper à La Haye le terrain qu’on y a perdu. Ce temps n’est pas propre à le reprendre. Je ne hasarderais pas de vous dire aussi librement mon sentiment si je croyais, en consultant ma personne et la dignité du roi (puisque je suis son ministre), pouvoir parvenir au grand objet de la pacification ; mais j’avoue que je ne puis consentir à m’aller prostituer en pure perte, persuadé que rien n’est plus dangereux que le ridicule et le discrédit[1]. »

Je soupçonne fort que Puisieulx ne tenait pas essentiellement à abréger les délais qui ajournaient indéfiniment la réunion de la conférence, informé qu’il était de ce qui se préparait à Versailles et attendant l’issue d’une crise intérieure dont le résultat l’intéressait bien davantage. Les choses marchaient en effet, le travail poursuivi contre d’Argenson était poussé avec activité : ses ennemis, tous réunis, s’apprêtaient à frapper le dernier coup, et il leur en

  1. Puisieuix à d’Argenson, 17 décembre 1746.