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résidait depuis longtemps en France, fut sous-lieutenant dans une compagnie de volontaires de Nantes et l’un des quatre cents preux qui, en juin 1792, défendirent la ville contre une attaque nocturne, et dont quarante seulement survécurent. Plus tard, Carrier l’associa à ses atrocités et le chargea de surveiller les noyades. Il détournait, disait-on, l’attention des condamnés en les priant de regarder quelque chose sur une des rives de la Loire, et il prenait ce moment pour leur plonger dans la gorge son couteau de poche.

Son frère Charles, plus jeune que lui de quatre ans, s’était enrôlé dans l’armée vendéenne. Sur le point d’être pris, il se réfugia chez John, et John le livra : il fut guillotiné à Angers le 31 décembre 1793. M, ne de La Rochejaquelein assure qu’après cette exécution, John fut en proie aux remords, qu’il se croyait poursuivi par le spectre de son frère, et que de jour en jour il tâchait de s’étourdir par l’ivresse d’un nouveau crime. Cependant, lorsque après la chute de Robespierre, il passa en jugement comme terroriste, il se défendit le front levé : « Mon frère, dit-il, était avec les rebelles. Il assassinait les patriotes et voulait m’assassiner moi-même. Quand il se vit à bout de ressources, il vint me trouver et se jeta dans mes bras ; mais il était l’ennemi de mon pays, j’accomplis le devoir d’un bon républicain, je le dénonçai et justice fut faite. » John était, paraît-il, un fort joli homme, et les femmes l’adoraient ; où ne se prend pas leur cœur ? Après son acquittement définitif, il s’établit comme maître d’école à Buchesne, y conquit l’estime générale, fut toujours un bon républicain et vécut jusqu’en 1841. Comme on voit, le spectre de son frère ne le poursuivait point. Les fanatiques sincères ne se reprochent jamais rien, pas même les trahisons et les boucheries. Leur conscience n’est pas celle de tout le monde, ils l’ont faite eux-mêmes, et leur couteau de poche fût-il tout rouge de sang, elle l’absout.

Il y eut des Anglais de naissance ou d’origine dans la convention, dans la Commune, dans le club des Jacobins, parmi les terroristes, les délateurs et les bourreaux ; il y en eut aussi parmi les victimes. Mais ceux qui furent exécutés à Paris, comme le général Arthur Dillon, Thomas Ward, O’ Moran, étaient de fait des citoyens français. On sait moins combien périrent en province. William Bulkeley, qui avait servi sous Charette, fut guillotiné à Angers. « C’était, écrivait Argens, un superbe homme de six pieds, dont la tête était de trop ; elle est maintenant dans le sac. » Lebon fit couper le cou à deux Anglaises, dont l’une, Jane Grey, était, paraît-il, aussi gaie que belle ; elle monta joyeusement dans la charrette, et tout le long du chemin on la vit rire « comme une diablesse. » Quel était son crime ? Elle avait passé quelquefois en Angleterre pour y porter de l’argent à un émigré. Il n’y a qu’heur et malheur. Un vrai criminel, l’abbé Edgeworth, confesseur de Louis XVI,