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radicaux, il vint planter sa tente à Paris, s’inscrivit au club jacobin, composa une ode sur le triomphe de la liberté. Quoiqu’il fût végétarien, plus tendre pour les veaux que pour les hommes, il pensait qu’un bain de sang était nécessaire à la régénération de notre espèce. On le chargea d’organiser un corps de volontaires. Il avait laissé en Écosse sa femme et trois enfans ; il appela auprès de lui ses deux fils et les fit tambours dans son régiment, qu’il commandait à la baguette. Envoyé contre les insurgés de la Vendée, il resta dans un des premiers engagemens, tué, dit-on, par ses soldats, qui l’accusaient d’avoir la main trop lourde.

Robert Pigott, qui avait été un opulent gentilhomme campagnard, représenta l’Angleterre dans la fameuse députation du genre humain imaginée par Anacharsis Clootz, ainsi qu’à la fête des piques. Depuis des siècles, de père en fils, les Pigott avaient possédé une terre à Chetwynd, dans le Shropshire. Ils avaient été de fervens jacobites, Robert se fit jacobin. Haut-shérif du Shropshire, il se persuada que l’Angleterre était au bord d’un abîme, vendit Chetwynd et passa la Manche. Il vécut quelque temps à Genève, où il connut Voltaire ; la révolution le fit accourir à Paris. Oswald, le végétarien, avait l’horreur des cravates. Pigott, le pythagoricien, détestait les chapeaux, qu’il tenait pour une invention des prêtres et des despotes. Au commencement de 1792, il publia en faveur des bonnets une éloquente brochure, qui eut un prodigieux succès. Mme Roland le traitait de franc original et le regardait comme un rêveur, qui passait sa vie à bâtir en l’air. Ce rêveur avait formé cependant le projet très pratique d’acheter, dans le midi de la France, quelque terre confisquée. Il mourut à Toulouse, le 7 juillet 1794, avant d’avoir réalisé son idée.

L’un des derniers actes de l’Assemblée constituante avait été de conférer les droits de citoyen français à dix-huit étrangers, et, dans le nombre, à sept Anglais. Deux d’entre eux furent nommés à la Convention. L’un fut, comme on sait, le fameux Thomas Paine ; quatre départemens l’avaient élu. Quand il débarqua à Calais, on lui rendit les honneurs militaires, la foule lui fit fête, le maire le harangua. Incapable de dire trois mots dans la langue de sa nouvelle patrie, il ne put répondre qu’en mettant sa main sur son cœur. Ce geste parut si éloquent que bientôt on trouva son portrait jusque dans les auberges de villages. Il vota contre la mort de Louis XVI et pour la détention ; Bancal lut à l’assemblée une traduction française de son discours, pendant que lui-même se tenait immobile à la tribune. Il faillit payer cher son mouvement de générosité. Danton, qui lui voulait du bien et lui parlait anglais, le dissuada d’assister à la séance du 2 juin 1793. « Ami de Brissot, vous partagerez son sort. » Et comme Paine s’indignait : « On ne fait pas les révolutions à l’eau de rose, » lui répliqua-t-il. Paine se le tint pour dit. Après le triomphe des jacobins, il cessa provisoirement de siéger, se tint clos et coi, tâcha d’oublier la politique en jouant dans