Page:Revue des Deux Mondes - 1890 - tome 99.djvu/677

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

feraient bien de prendre les devans pendant qu’ils étaient les plus forts, et d’en finir avec leurs ennemis, sans attendre que leurs ennemis en finissent avec eux. Les Girondins eussent été bien avisés de lui répondre : « David Williams est un de ces hommes qui ont toujours raison. Amen ! »

Ces Anglais de sang-froid paraissent avoir éprouvé deux impressions également vives. La première était l’étonnement mêlé de dégoût que leur inspiraient les scènes de tumulte, de confusion par lesquelles se déshonoraient les assemblées françaises et le mépris qu’on y témoignait pour les plus vulgaires bienséances. M. Williams dit un jour à Mme Roland qu’il n’espérait rien de bon « de députés incapables d’écouter, » et le docteur Moore déclarait que s’il y avait parfois à Westminster des séances fort bruyantes, on n’y rencontrait jamais cinquante énergumènes vociférant et criant tous à la fois. Mais ce qui l’étonnait tout autant, c’était le calme prodigieux qui régnait à Paris au lendemain d’émeutes ou d’exécutions sanglantes. Il constatait avec surprise qu’au mois d’août 1792, peu de jours après le sac des Tuileries et la chute de la royauté, les Champs-Elysées avaient rouvert leurs spectacles et leurs concerts. Dix-huit mois auparavant, George Hammond, qui fut plus tard sous-secrétaire au Foreign-Office, écrivait à Bland Burges : « Sauf un plus grand nombre d’hommes en uniforme militaire paradant dans les rues, toutes les occupations communes de la vie suivent leur train accoutumé aussi régulièrement que si rien ne s’était passé, et on court aux divertissemens publics avec autant d’ardeur que dans les temps les plus paisibles et les plus florissans de la monarchie. »

M. Gaston Maugras vient de publier, en l’accompagnant d’un judicieux et intéressant commentaire, la correspondance d’un jeune Bordelais, nommé Edmond Géraud, qui appartenait à une famille de la meilleure bourgeoisie[1]. Son père, riche armateur, l’avait envoyé en 1789 à Paris pour y continuer ses études en compagnie d’un apprenti médecin, qui lui servait de mentor. Il y resta jusqu’à la fin de 1792. Dans ses lettres à son père, il représente Paris comme un séjour délicieux, enchanteur. A la vérité, la paix y est interrompue de temps à autre par quelques incidens tragiques, par des pillages, par des assassinats ; mais cela n’empêche personne de vaquer à ses affaires et à ses plaisirs. Edmond Géraud est fort occupé. Il travaille sérieusement à ses mathématiques, traduit Horace et Tacite, prend des leçons de dessin à l’Académie de peinture, se rend trois fois par semaine au Collège de France, suit le cours de chimie de l’éloquent Fourcroy, le cours plus éloquent encore de M. Gournand, lequel « démontre

  1. Journal d’un Etudiant pendant la Révolution (1789-1793), publié par Gaston Maugras. Paris, 1890 ; Calmann Lévy.