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pris. Le 18 octobre 1793, la Convention décréta que, par mesure de représailles, tous les Anglais, Écossais, Irlandais et Hanovriens des deux sexes seraient ses otages, que leurs papiers seraient saisis, leurs effets confisqués. On ne fit grâce qu’aux ouvriers des fabriques et aux enfans au-dessous de douze ans. La libération de ces prisonniers de guerre n’eut lieu qu’en février 1795. Ainsi vont les choses humaines. La révolution française avait commencé par détruire une prison ; elle ne s’occupait plus que de multiplier les cachots. Elle avait commencé par proclamer l’unité du genre humain et la fraternité de tous les peuples ; par la force des événemens, elle en venait à traiter les étrangers en ennemis et à jurer une guerre éternelle à Carthage. Toute affiche, toute enseigne en anglais fut prohibée, comme le sont aujourd’hui les enseignes françaises en Alsace. Un professeur de langues en fut réduit à annoncer qu’il donnait des leçons d’américain. « Quelques philosophes, quelques amis de l’humanité, disait Robespierre, auront à souffrir de ces mesures ; mais ils seront assez généreux pour ne pas nous en vouloir. »

Un Anglais, M. John Alger, a raconté dans un livre instructif et agréablement écrit les aventures de ceux de ses compatriotes qui de gré ou de force se trouvèrent mêlés aux événemens de la Révolution et y participèrent par leur action ou par leurs souffrances[1]. Ce livre est le fruit de consciencieuses et minutieuses recherches. L’auteur a fouillé dans les archives, il s’est enquis auprès des familles et des descendais, il a réussi à reconstituer plus d’une biographie obscure, qui méritait d’être connue. Il se plaint que les documens lui ont souvent manqué, que très peu des prisonniers anglais de 1793 ont laissé des souvenirs écrits. Il a retrouvé cependant une longue lettre, fort intéressante, de sir William Codrington, qui fut enfermé pendant quinze mois à la Conciergerie d’abord, puis à la maison de santé du Chemin-Vert et dans la prison Coignard. Il a retrouvé aussi des rapports rédigés ou dictés. par des bénédictines de Paris et de Cambrai.

Mais, à son vif regret, le consciencieux historien n’a pu faire aucun usage du livre aussi suspect que curieux intitulé : Journal de ma vie pendant la révolution, par mistress Grace Dalrymple Elliott. Quoique la traduction française de ce journal, pour laquelle Sainte-Beuve écrivit une préface, ait été goûtée, il a été reconnu qu’un peu de vérité s’y trouve combiné avec beaucoup de fictions, sans qu’il soit possible de déterminer les doses. Mme Elliott, qui fut successivement la maîtresse de lord Valentia, du prince de Galles et du duc d’Orléans, et qui prétendait que Bonaparte lui avait offert de l’épouser, était une grande menteuse. Elle déclare avoir été enfermée dans quatre prisons de Paris, et son nom ne se retrouve sur aucun registre.

  1. Englishmen in the French Revolution, by John G. Alger. Londres, 1889.