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se répandant sur la superficie des choses, soit en les pénétrant dans leur intimité ! Jeter à tort et à travers des scintillemens, des lueurs, des reflets sur une toile, ou l’envelopper uniformément dans le voile confus d’un brouillard plus ou moins teinté, ce n’est pas faire œuvre de couleur et d’harmonie, non plus qu’au temps de la décadence florentine ou de la décadence académique, accumuler, dans des corps disloqués et disproportionnés, des accentuations anatomiques hors de place et hors de propos, ce n’était faire œuvre de dessin et de style. Ce qui est vrai pour le peintre de figures est vrai pour le paysagiste. L’allure des arbres demande à être observée aussi bien que l’allure des hommes ; les minéraux ont leur visage particulier aussi bien que les animaux.

Nous avons déjà constaté, les années dernières, l’influence utile qu’ont prise sur les paysagistes sérieux de la génération nouvelle M. Harpignies et M. Français, son aîné et son modèle. M. Français, lui aussi, reste toujours sur la brèche, et sa Matinée brumeuse aux environs de Paris'' n’est pas une des œuvres les moins intéressantes qu’il ait exposées en ces derniers temps. C’est d’un charme sérieux et doux, qui gagne plus qu’il ne saisit, un charme durable et profond, qui n’est dû à aucun tour de main, à aucun appel à l’œil par le procédé. A la différence de tant de paysages, bigarrés, frétillans, éclatans, brossés à la diable, tout en surface, qui ne vous sautent aux yeux que pour vous montrer leur vide, les paysages de M. Français et de toute son école, modestement teintés, mais sérieusement établis, attendent volontiers qu’on les cherche, certains de retenir à la fin leur monde par le charme durable de leur commerce intime. Eloge qu’on pourrait étendre parfois à quelques artistes d’un autre âge, demeurés moins extraordinairement jeunes que M. Français, mais dont les œuvres sont, en vérité, plus démodées que de raison, car on y trouve encore, soit pour la bonne construction des plans, soit pour la dignité ou la sincérité de l’impression, soit pour l’habileté technique, plus d’un enseignement et plus d’un agrément, celles de MM. Paul Flandrin, Benouville, Bellel, Laurens, Emile Michel, etc. D’autres, il est vrai, beaucoup plus mêlés au mouvement actuel, s’efforcent, avec raison, d’unir à la solidité du fond cette vive et délicate fraîcheur de lumière vers laquelle nous aspirons aujourd’hui. C’est d’abord, ou plutôt c’était, avec son Sentier à Orsay, ce pauvre Rapin, frappé par la mort au moment où son talent, agrandi et éclairé, se dégageait de ses longues incertitudes et de ses touchantes timidités. C’est M. Nozal, encore un peu fuyant, mince et chiffonné, mais singulièrement habile à démêler, dans les brumes et brouillards travaillés par le soleil, les vibra1 ions, pérégrinations, décompositions