Page:Revue des Deux Mondes - 1890 - tome 99.djvu/644

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

de démonstration, mais de pratique, et on leur donnera l’ordre de s’y conformer. Un livre est insuffisant, quelque bien rédigé qu’il puisse être : il pourra donner à peu près la sonorité des voyelles, il ne donnera pas aisément l’articulation des consonnes qui n’ont pas d’équivalent exact dans les autres langues. Le professeur cum libro donnera au khi la valeur de ki, au th celle de t, comme le Scythe d’Aristophane. On arrivera de cette manière à une sorte de compromis entre les deux prononciations. Un ministre bien décidé à faire la réforme qui est demandée trouvera le moyen de la faire. Il est probable que, ne disposant pas chez nous d’un personnel suffisamment exercé dans la langue des Hellènes, il s’adressera aux Hellènes eux-mêmes, comme on l’a fait pour d’autres langues. Rien n’est plus facile : à Paris, à Marseille et ailleurs on trouvera, quand on le voudra, assez de Grecs disposés à faire une tournée, comme en font nos inspecteurs, pour enseigner dans toute la France la bonne prononciation de leur langue. Tous verront dans cette mission un devoir patriotique à remplir, et ils le rempliront avec ardeur. S’il y a des indemnités à leur payer, on les paiera : quand nous dépensons tant de millions à reconstruire nos édifices scolaires, dont la magnificence n’ajoutera peut-être pas beaucoup d’idées fécondes à l’enseignement, nous trouverons bien les fonds nécessaires pour la mission dont il s’agit. En un an, la transformation pourrait s’accomplir sur tous les points de la France et de l’Algérie ; le ridicule qui nous poursuit et que l’érudit hollandais a attaché à nos pas, disparaîtrait. L’esprit français aurait renoué la chaîne dont le dernier anneau a été tenu par l’auteur de Pantagruel.

Les Hellènes trouvent de grands avantages à apprendre la langue française et à la prononcer correctement. Elle entre comme étude obligatoire dans l’enseignement public en Grèce ; en outre, beaucoup de familles la font parler à leurs enfans dès le premier âge, afin qu’elle soit pour eux comme une seconde langue maternelle ; enfin, de jeunes Grecs viennent en grand nombre demeurer en France quelques années pour s’y familiariser avec le français. Si nous faisions comme eux d’une autre manière en adoptant leur prononciation, nous verrions en peu de temps l’étude de l’antiquité se relever chez nous. Les ouvrages de Platon et d’Aristote, qui ont été les maîtres de la philosophie et les initiateurs des sciences, ne seraient plus fermés, non plus que ceux des historiens et des poètes. Leur langage serait compris, comme celui du Tasse pour ceux qui ont appris l’italien. Je sais bien que cette réforme entraînerait des changemens dans les méthodes de l’enseignement, qui deviendrait plus pratique et ne différerait pas beaucoup de celui des autres langues vivantes. Pour moi, j’ai le souvenir présent que jadis, avant de séjourner à Athènes, j’avais,