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Les occasions ne lui manquèrent pas longtemps, d’ailleurs, pour trouver, même sans avoir de peine à prendre, des complications qui lui permissent de pêcher en eau trouble. Les commissaires ne furent pas plus tôt réunis, qu’avant même qu’ils eussent commencé à causer, on s’aperçut qu’on n’était nullement d’accord sur le caractère de l’entretien qui allait s’engager entre eux. Dans la pensée du gouvernement français, ce devait être une conversation dans laquelle on essaierait de s’entendre à trois sur des bases préliminaires qui n’auraient rien de définitif, et que chacun aurait à proposer ensuite, à l’approbation de ses associés. Il s’agissait uniquement de chercher un terrain d’accord où la France tenterait d’amener l’Espagne, tandis que l’Angleterre et la Hollande s’efforceraient d’y faire arriver l’Autriche et la Sardaigne. On éviterait de la sorte de mettre tout de suite tous les intérêts contraires en présence et toutes les prétentions aux prises. Simple échange d’idées, en un mot, ne ressemblant en rien à un congrès où chacun, arrivant avec des instructions précises et des pouvoirs limités, se place tout de suite sur la défensive, et où les discussions sont d’autant plus vives que les résolutions, une fois prises, deviendraient obligatoires et feraient loi dans les relations internationales.

Du premier mot que dit lord Sandwich, on s’aperçut combien on était loin de compte. L’Anglais déclara, en effet, tout de suite qu’il n’ouvrirait pas la bouche jusqu’à la venue des représentans autrichiens et sardes, qui devaient arriver d’un moment à l’autre, puisqu’ils étaient déjà désignés, et il les nomma : c’étaient le comte d’Harrach à Vienne et le comte de Chavannes à Turin. Surprise et confusion générales ; et comme Puisieulx se récriait : — « Mais c’est chose convenue, ajouta Sandwich, et la Hollande sait parfaitement que, sans cette condition, je ne me serais pas mis en route. » — L’embarras des Hollandais, vers qui Puisieulx se retournait plus ému que jamais, devint extrême. — « Aux reproches sanglans que je leur fis, dit-il, de cette manœuvre cachée, ils s’en défendirent comme beau meurtre, et se donnèrent au diable de savoir qui l’a faite, mais ils n’en ajoutèrent pas moins timidement que, si on voulait bien admettre le ministre de Marie-Thérèse, ils se faisaient forts de tout terminer en vingt-quatre heures. » Vérification faite, on découvrit, ou on fit semblant de croire, que le malentendu venait du fait du pensionnaire Van der Heim qui, averti des exigences du gouvernement anglais, n’en avait pas donné avis pour ne pas empêcher l’ouverture de la conférence. Van der Heim, venant de mourir subitement, n’était plus là pour réclamer, et on mit la faute sur son compte[1].

  1. Puisieulx à d’Argenson, 3 octobre 1746. (Correspondance de Hollande. Ministère des affaires étrangères.) Mémoires et Journal de d’Argenson, t. IV, p. 4 et 9. — C’est d’Argenson qui accuse Van der Heim de ce qu’il appelle une friponnerie. Les dépêches anglaises établissent très nettement, au contraire, que la résolution de demander l’admission des agens autrichiens et sardes à la conférence fut prise par tous les magistrats hollandais (Gillis en particulier) après de longues hésitations et sur la demande expresse de lord Sandwich après son arrivée à La Haye.