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enfin toutes les écritures sémitiques procédaient de cette façon. Quand les Grecs adoptèrent l’écriture phénicienne, elle fut tout à fait insuffisante pour eux : tel caractère phénicien énonçant une consonne dut être détourné de son emploi et servir pour une voyelle ; tel lut, par exemple, le yod qui devint l’iôta. Les seize cadméennes, comme on les appelle, étaient loin de fournir une écriture alphabétique complète ; il fallut y ajouter des lettres nouvelles. Nous ne faisons pas ici l’histoire de l’alphabet grec ; nous remarquons seulement que son complément n’eut pas lieu d’une manière systématique et en vertu d’un accord entre les peuplades de la Grèce. L’état de dispersion où elles étaient, le manque d’une instruction commune, l’ignorance des règles de la grammaire, causaient une certaine confusion dans les écritures : cet état de trouble et d’indécision sur la valeur des lettres se reflète dans les inscriptions antérieures à la fin du ve siècle. C’est cela même qui provoqua la réforme d’Euclide en 403.

Cette réforme ne fut ni fortuite ni arbitraire ; elle fut causée par un besoin public, par la nécessité d’obtenir l’unité d’orthographe parmi les Grecs. On ne doit pas perdre de vue qu’elle ne touchait en rien à la prononciation, et qu’elle portait uniquement sur l’écriture. Ce n’est pas l’alphabet attique qui prévalut alors ; ce fut l’alphabet ionien, plus complet et plus commode ; on y ajouta les deux longues de l’o et de l’e, qui auparavant s’écrivaient comme les brèves et se confondaient avec elles. Cet e, qui était à volonté bref ou long, représentait également le son d’ei, qui pourtant en différait notablement et avait une forte tendance vers le son de l’i qu’il a aujourd’hui même. Il fut donc entendu que l’e d’une part et l’ei de l’autre auraient leur emploi déterminé.

Avant et après Euclide, les Grecs ont représenté des sons simples par deux lettres et n’ont jamais tenté d’échapper à cette nécessité. Ne faisons-nous pas de même ? Dans aimer, ai est un son simple rendu dans l’écriture par deux voyelles ; il en est de même d’ei dans enseigner, d’où dans tous les mots où il se trouve. Cela est si vrai pour le grec que la prétendue diphtongue ai y est souvent brève dans les verbes, dans les cas des noms et dans le corps même des mots ; cette brièveté eût été impossible si les deux lettres eussent été prononcées séparément, ai, suivant l’idée érasmienne. Il en est de même d’oi à la fin des noms et des adjectifs ; il en est de même d’ou, tantôt long, tantôt bref, et figuré dans les anciennes inscriptions par un o simple. Les formules doubles au, eu sonnaient le plus souvent av, ev ou même af, ef, car dans les inscriptions l’u est assez souvent remplacé par un b (v) ou par un F, ou écrit côte à côte avec cette consonne ; on n’aurait donc pas dit neurologie comme nos professeurs de médecine, mais névrologie ; les Septante