Page:Revue des Deux Mondes - 1890 - tome 99.djvu/635

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

tenir à cette dernière date, quoique les documens permettent de remonter plus haut. C’est une erreur de croire que le succès en cette matière soit impossible, les sons des lettres ne laissant aucune trace dans l’air où ils sont produits. Les études comparatives, l’analyse des documens et la structure de l’organe vocal fournissent des données tellement précises et concordantes que nous pouvons dans presque tous les cas découvrir comment telle lettre, telle syllabe était prononcée au temps d’Euclide, non-seulement à Athènes, mais encore dans d’autres parties de la Grèce. C’est à réunir et à discuter ces données que s’est attaché M. Papa-Dimitrakopoulos. Son livre n’omet rien d’important ; il n’est point le résultat d’une opinion préconçue ; partout il met en présence les raisonnemens des érasmiens et les faits que les recherches de nos jours ont révélés. Plusieurs érudits allemands, parmi lesquels on distingue MM. George Curtius, Kauer, Dietrich, Korsen, et en dernier lieu F. Blass, ont écrit dans le sens érasmien ; aucun de leurs ouvrages n’a la valeur de celui du savant athénien. Et cela ne peut nous surprendre, puisque, Grec, il est mieux placé qu’un étranger pour traiter des questions relatives à sa langue maternelle.

Le savant athénien remarque avec justesse que la plupart des raisonnemens érasmiens reposent sur la confusion de l’écriture et de la prononciation. Les anciens idiomes ont été parlés longtemps avant d’être écrits ; l’écriture même a passé de l’état hiéroglyphique à l’état phonétique dans des temps où les langues, non encore parfaites, avaient déjà pourtant des siècles d’existence. L’écriture alphabétique, qui est venue la dernière, ne représente point les idées, mais les sons de la voix et les articulations de la parole. On peut lire les hiéroglyphes anciens et l’écriture chinoise sans connaître l’égyptien ni le chinois, parce que ces écritures représentent les idées et non les mots ; on peut les comparer à nos chiffres, qui peuvent être lus dans une langue quelconque. Il n’en a été de même ni du grec, ni du latin, puisque leurs écritures représentent les langues parlées en Grèce et en Italie, langues sans lesquelles ces écritures n’offriraient aucun sens. Il y a donc une question qui domine toutes les autres : l’écriture des Grecs représentait-elle exactement leur langue parlée ? Si les faits prouvent qu’elle ne la représentait pas, les débats fondés sur la lettre morte risquent fort d’être stériles et la tradition nationale prend une nouvelle valeur.

Or tout le monde sait que l’alphabet grec avait été apporté du dehors ; c’était l’écriture phénicienne, venue vraisemblablement par le commerce. Cette écriture était syllabique, en ce sens qu’on n’y figurait pas les voyelles ; il en était de même de l’hébreu, où les points distinctifs des voyelles ne furent introduits qu’au Xe siècle ;