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prétendue diphtongue à celui de l’é fermé des Français, avec une forte tendance vers le son de l’i.

Ces divergences de peuple à peuple, d’homme à homme, ne sont-elles pas une preuve du peu de solidité du système érasmien ? Il n’y a pas deux manières de prononcer correctement une langue ; il n’y en a qu’une. Voyez ce qui arrive aujourd’hui chez nous : un étranger y est toujours reconnu ; quelque usage qu’il ait de notre langue, il lui échappe toujours quelques mots dont la vraie sonorité n’est pas rendue. Nous n’exigeons pas seulement la correction dans le langage ; nous voulons que les gens de province se débarrassent de leur accent particulier, accent auquel nous reconnaissons leur origine ; nous n’exceptons pas de cette règle les Parisiens de Paris : il suffit de leur entendre prononcer le nom de Versailles pour s’apercevoir d’où ils viennent. Il y a une manière commune et traditionnelle d’articuler et d’accentuer le français, qui est la bonne. Les différences locales ne font que confirmer la règle en faisant ressortir les vices de prononciation qu’on doit éviter. Ce que nous disons de la langue française, il faut le dire aussi bien de l’allemand, qui ne se parle pas avec le même accent local à Berlin, à Munich, à Vienne, à Francfort. Il faut le dire de l’italien, si divers à Venise, à Florence, à Rome et à Naples ; à Gênes, on dit o maïo pour il marito, a moggè pour la moglie, la femme, Zèna pour Genova, la ville de Gênes ; on y supprime les consonnes et l’on dit aorava, fae pour adorava, il adorait, fate, faites. À Florence, où l’italien passe pour très pur, on prononce autrement qu’à Rome ; j’y ai entendu un sermon sur le rosaire où le nom de ce chapelet revenait sans cesse et sans cesse prononcé rossario, au lieu de rosario qui est la manière romaine. À Naples, on dit na femmena pour una femmina, une femme, qui est la manière correcte d’écrire et de prononcer ces deux mots.

La langue grecque, chez les modernes, n’échappe pas à cette variété provinciale. Je ne parle pas seulement des Tzaconiens qui habitent dans le sud du Péloponèse et qui ont un patois local tout particulier ; je veux dire que sur les points du monde grec éloignés les uns des autres, on n’articule pas la langue de la même manière. Dans les diverses classes de la société on constate aussi des divergences, dont les étrangers même peuvent s’apercevoir : ces différences ne portent pas seulement, comme en Italie, sur les formes grammaticales des mots, c’est-à-dire sur les lettres dont ils se composent ; elles se remarquent dans la sonorité, dans l’articulation d’un même mot, différentes d’une province à une autre, d’une classe de la société à une autre classe. La manière érasmienne ne fait qu’ajouter à cette diversité une diversité nouvelle que rien ne