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Klephtes, on en ignorait absolument l’existence. Les Klephtes et leurs chants si pleins d’enthousiasme n’ont été connus que dans le siècle où nous sommes ; ils n’ont été étudiés que depuis la bataille de Navarin, en 1827.

Mais ce qui confirma surtout le succès de l’invention érasmique fut la facilité apparente qu’elle donnait aux écoliers pour écrire sous la dictée. Il est certain que la ressemblance de plusieurs voyelles, que les Grecs modernes rendent par un même son de voix, exige de la part de l’étudiant à la fois une attention soutenue et une certaine connaissance de la langue ; il est donc exposé à commettre des fautes d’orthographe. La séparation totale des lettres dans une dictée obvie à cet inconvénient. Toutefois, c’est ici une simple question de procédé dans l’enseignement, non-seulement du grec, mais de toute autre langue. Celui qui dicte du français à des écoliers français relève beaucoup d’erreurs dans ce qu’ils ont écrit ; s’il voulait les éviter dès le premier exercice, il serait forcé de suivre la méthode érasmienne et d’épeler les mots lettre par lettre ; il prononcerait j’aïmaïs pour j’aimais, ou bien il verrait ce mot écrit j’èmais, j’emê et de plusieurs autres façons. Il y a des mots français qui pourraient, on ne le croira pas, s’écrire de plus de quatre mille manières. Comment parvenons-nous à éviter les fautes ? Nous y parvenons par l’exercice, par l’étude de la grammaire et par la lecture. La lecture nous fait voir les mots tels qu’ils doivent être écrits et non tels qu’on les prononce. La grammaire explique l’orthographe de ces mots et en donne les règles. L’exercice grave les mots et les règles dans notre mémoire. L’enfant, le paysan, l’ouvrier, qui n’ont pas beaucoup lu, qui ont ou mal appris ou tout à fait oublié la grammaire, commettent un grand nombre de fautes, souvent des fautes énormes, et ne réussissent pas toujours à séparer les mots comme il convient.

On peut donc affirmer que le procédé érasmien est un procédé expéditif pour aider les écoliers à écrire le grec ou le latin correctement sous la dictée ; seulement, c’est le procédé des paresseux, parce qu’il substitue un matériel simplifié, mais inerte et privé de vie, à la parole vivante et vraie des hommes en société. Entre une phrase de grec prononcée à la moderne et la même phrase prononcée suivant le procédé érasmien, il y a à peu près la même différence qu’entre un tableau de maître et sa reproduction chromolithographique. Ceux donc qui ont poussé Érasme à publier son De recta pronunciatione lui ont, en réalité, fait commettre un affreux mensonge ; car depuis lors on s’est figuré prononcer une langue ancienne plus correctement que les hommes vivans dont elle est l’idiome. On ne s’est pas aperçu que ce que l’on semblait gagner d’un côté, on le perdait de l’autre. Si l’on isolait l’une de l’autre