Page:Revue des Deux Mondes - 1890 - tome 99.djvu/622

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

La Banque avait prêté dans le même temps et à des conditions analogues 210 millions à la ville de Paris. Nous ne parlerons pas des 7 millions que l’établissement dut avancer aux chefs de la commune et que l’État n’a pas remboursés.

Ce qui frappe surtout dans ces transactions colossales, outre la grandeur du service rendu au pays, c’est la possibilité même qui s’est révélée pour la Banque, de tendre à l’excès, en un moment donné, les ressorts de son crédit sans les briser. Pendant cette année si pleine d’inquiétudes et de misères, lorsque, sous le coup des besoins sans cesse grandissans, la planche aux billets ne cessait de fonctionner, alors que le cours forcé avait dû être décrété, telle était la confiance qu’inspirait la Banque que son billet, malgré sa multiplication, ne perdit à aucun moment la moindre parcelle de sa valeur nominale. Là est le côté merveilleux de l’aventure. Qui oserait dire que ce maintien du papier au pair eût été possible, si la Banque n’avait pas été un établissement essentiellement privé, si elle avait eu des attaches trop étroites avec l’Etat, si l’on avait pu supposer que la signature que portaient les billets était la signature d’un simple fonctionnaire public ? Nous ne voulons pas insister sur ce point qu’il suffit de signaler à l’attention de ceux qui savent comprendre, comparer et conclure. Il n’est pas besoin de beaucoup de réflexion pour apercevoir qu’une banque d’État n’aurait jamais pu donner les résultats que nous venons de résumer. Et c’est pourquoi, au terme de cette étude rétrospective des destinées, des efforts et des œuvres de la Banque de France, nous ne pouvons aisément nous figurer les pouvoirs publics mettant un jour en adjudication, sur l’invitation du parlement, le fameux privilège de l’émission, ou, à défaut d’un preneur disposé à le payer assez cher au gré du gouvernement, le réservant pour l’exploiter eux-mêmes à leurs risques et périls, c’est-à-dire aux risques et périls du pays. Ce sont là des chimères. Gouvernement et chambres auront l’intelligence de laisser à leurs rêves certains utopistes qui se croient et se proclament des réformateurs. Ils conserveront précieusement, et avec son organisation actuelle, en respectant surtout son autonomie, une Banque de France qui peut montrer de tels états de service, dont l’encaisse métallique est aujourd’hui notre véritable trésor de guerre, et que toute son histoire apprend à considérer comme une utilité de premier ordre en temps ordinaire, comme un recours suprême en temps de crise.


AUGUSTE MOIREAU.