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participation éventuelle, très éventuelle, aux bénéfices des compagnies de chemins de fer ? Si plausible que soit la thèse, nous ne la croyons cependant pas bonne. Le gouvernement, nous en sommes convaincus, ne cherchera pas, dans ses négociations avec la Banque, à la faire prévaloir, et la majorité du parlement donnera tort à ceux qui voudraient la reprendre. Le partage, à moins d’être illusoire dans ses effets pour l’État, porterait une atteinte manifeste aux droits acquis des actionnaires. En Allemagne, la loi votée récemment pour le renouvellement du privilège a imposé aux porteurs d’actions de la Banque de l’Empire des conditions draconiennes. Mais la clause du partage avait été insérée dans les statuts dès la création de la Banque, alors que, depuis 1803, jamais les propriétaires de la Banque de France n’ont été soumis à ce régime. Les actions de la Reichsbank, rachetables à l’expiration du privilège à 111 pour 100 (taux représentant le capital nominal accru des réserves), n’ont jamais pu s’élever beaucoup au-dessus de ce niveau et les restrictions nouvelles n’ont fait que rendre plus difficile encore et plus improbable la hausse des titres. Les actions de la Banque, au contraire, ont valu, depuis très longtemps, plusieurs milliers de francs. On sait qu’elles sont, pour une bonne part, la propriété d’incapables, de mineurs, d’établissemens de bienfaisance. Ou il faudrait fixer pour le niveau de réalisation de la clause de partage une limite telle que, par suite d’une importante diminution du dividende, les titres perdissent une partie notable de leur valeur ; ou bien la clause laisserait les actionnaires assurés d’une rémunération à peu près égale à la moyenne des dernières années avant toute division des bénéfices. Dans le premier cas, où serait la justice pour les propriétaires de la Banque ? Dans le second, où serait l’avantage pour l’État ?

Il y a un argument qui parle plus haut encore contre la clause du partage, c’est qu’elle risquerait fort de dénaturer essentiellement le caractère d’institution privée de la Banque. Le gouvernement impérial allemand est maître absolu de la Banque de l’Empire, bien que celle-ci ait des actionnaires admis à exercer un certain contrôle, très limité, sur l’administration intérieure. En fait, la Reichsbank est un véritable établissement gouvernemental. Le montant des bénéfices qu’elle apporte à l’État est assimilable au revenu que celui-ci tire de l’exploitation d’autres services publics. Rien de tel en France, où le conseil général de la Banque est un corps autonome composé des sommités de la finance, issu de l’élection des actionnaires, et où les représentans de l’État, quelque influence que leur donnent leur situation de gouverneur et de sous-gouverneurs et leur valeur personnelle, ne sont qu’une minorité. Que l’État ait à partager les bénéfices avec les actionnaires