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rappelle la notion de liberté des banques, mais bien plutôt une ressemblance étroite avec notre système, une banque centrale qui est le trésor, d’où émanent et où reviennent les billets, et un nombre infini de succursales disséminées dans ce pays grand comme les deux tiers de l’Europe, succursales qui sont les banques nationales.

Le billet des banques nationales d’Amérique est d’ailleurs, semble-t-il, destiné à devenir de plus en plus rare. On sait qu’à côté de lui se place dans le système américain de circulation le greenback, papier d’état, créé pendant la guerre civile, convertible en or à toute réquisition depuis le retour aux paiemens en espèces en 1879, et qui a gardé la qualité de legal tender, par où il est mis, comme notre billet de banque, sur un pied d’égalité absolue avec la monnaie métallique. Il en existe pour 350 millions dollars environ (1,750 millions de francs). Le reste de la circulation fiduciaire se compose des certificats d’or et d’argent en quantité toujours croissante, papier-monnaie à base rigoureusement métallique.

Tout ce système de circulation, le plus parfait assurément avec celui d’Angleterre et le nôtre, a quelque chose de complexe et surtout de rigide qui le rend décidément inférieur à la circulation de la Banque de France. De même qu’à Londres les entraves de l’Act de 1844 obligent la Banque d’Angleterre à infliger périodiquement au marché monétaire des crises parfois dangereuses, que la situation générale ne justifie que faiblement, de même en Amérique le peu de flexibilité du mécanisme de la circulation provoque à tout instant des accès de stringency qui bouleversent tous les intérêts et troublent le commerce pendant une longue série de semaines. Les taux du change subissent de brusques et fortes oscillations ; les taux d’escompte, variables d’une ville à l’autre, s’élèvent à des niveaux inconnus en France, et tous les regards sont tournés vers le secrétaire du trésor dans l’attente du secours qu’il va donner au marché sous la forme d’une saignée plus ou moins forte pratiquée dans l’encaisse énorme du gouvernement à Washington.

Voilà les enseignemens que nous offre la plus remarquable et la plus prospère application du système de la pluralité des banques dans le monde entier. Aucune liberté bien entendu, et, sous le nom de pluralité, une unité sévère, un mécanisme ingénieux sans doute, mais auquel manque ce qui fait la grande valeur du nôtre, la souplesse, par laquelle sont évités les soubresauts violens, les crises.

En France, la question de la pluralité des banques a été définitivement résolue en 1848 par la suppression des banques départementales et leur fusion avec l’établissement national. Ces institutions, au nombre de neuf, étaient bien dirigées, prospères, faisaient