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le parlement, et beaucoup moins encore dans le public. L’attaque tomba devant l’indifférence. Le public ne comprenait pas que l’affaire pût s’engager de cette façon, et que la chambre appelât en quelque sorte à sa barre la Banque de France pour l’accuser de tels ou tels méfaits, ou du moins de telles ou telles insuffisances, et lui posât ce dilemme : accepter les conditions, quelles qu’elles fussent, qu’il plairait à la chambre de lui imposer, ou liquider[1]. Le public avait raison ; il a eu, en outre, le sentiment très net que la nomination d’une commission de trente-trois membres chargée de la tâche indiquée ci-dessus eût été une véritable usurpation sur les attributions du pouvoir exécutif.

Les intérêts qui se rattachent à la conclusion, entre l’État et la Banque de France, d’un contrat par lequel sera renouvelé à cet établissement, pour une période déterminée, le privilège de l’émission des billets, sont complexes. Il y a les intérêts du public, ceux de l’État, et il y a aussi ceux des concessionnaires du privilège, des propriétaires de la Banque, des actionnaires. Les premiers sont évidemment ceux dont il faut avant tout se préoccuper. On ne conçoit pas un établissement comme la Banque de France autrement que comme un mécanisme d’une puissance extraordinaire dont la fonction est de rendre à la masse de la population, dans l’ordre commercial et financier, le plus de services possible. Que la Banque, depuis les premiers temps de son existence, ait rendu de grands services au public, qu’elle en ait surtout rendu de très grands dans les vingt-cinq dernières années, et qu’elle en rende en quelque sorte chaque nouvelle année un peu plus que les années précédentes, c’est ce que personne n’aurait l’idée de nier. Où la controverse commence, c’est sur le point de savoir si la Banque ne pourrait pas améliorer encore son organisation, perfectionner son outillage, multiplier les rouages extérieurs par lesquels elle entre en contact avec les derniers rangs de la communauté commerciale.

Sur le terrain des services rendus au public par la Banque, il y a place pour des nuances très variées d’opinion, depuis celle des critiques peu sincères qui ne parlent de l’insuffisance des services de la Banque que pour en arriver à la suppression, jusqu’aux

  1. «… Tout nous confirme dans l’opinion, omise par les hommes les plus compétens, sur la nécessité de discuter longtemps à l’avance, et sans se préoccuper de la personnalité des concessionnaires actuels ou éventuels de ce monopole, les clauses et conditions, ce que nous appelons la convention type, à imposer à l’établissement qui recueillera le privilège de l’émission des billets à vue et au porteur, et constituera ainsi notre Banque d’État… Il est de notoriété que l’organisation de la Banque de France, instituée il y a trente ans dans des conditions financières, économiques et politiques radicalement différentes de celles où notre pays se tient aujourd’hui, ne répond plus à tous les besoins du public ni à certaines aspirations légitimes du commerce… »