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les différences de la sélection naturelle et de la sélection sociale : nous essaierons de les indiquer. Mais nous devons, en premier lieu, rechercher la vraie puissance et les limites de l’éducation, ainsi que de l’instruction, proprement dite ; nous nous demanderons jusqu’à quel point « les idées mènent le monde » et comment une sélection des idées se produit d’abord dans le cerveau par l’éducation : c’est ce qu’on peut appeler la sélection psychologique. Nous étudierons ensuite la sélection sociale, et à quelles conditions elle peut produire une élite nécessaire au progrès de tous. La doctrine même de l’évolution nous aidera à déterminer les objets les plus essentiels d’une éducation ayant pour fin le perfectionnement de l’espèce. Nous aurons ainsi établi nos principes et, dans des études ultérieures, nous en tirerons les conséquences pratiques relativement aux réformes actuellement, projetées de l’enseignement.


I

La puissance de l’instruction et de l’éducation, que les uns exagèrent et les autres nient, n’est autre chose que la force des idées et des sentimens : on ne saurait donc apporter trop d’exactitude scientifique à déterminer d’abord l’étendue et les limites de cette force. C’est là une question psychologique qui est à la base même de la pédagogie.

Le principe d’où nous partons, c’est que toute idée tend à se réaliser elle-même. Si elle est, seule, ou si une force supérieure ne la contrebalance point, elle se réalise en effet. Ainsi le principe de la lutte pour la vie et de la sélection, si on prend ce mot dans son sens le plus général, s’applique selon nous aux idées non moins qu’aux individus et aux espèces vivantes : il se produit une sélection dans le cerveau au profit de l’idée la plus forte ou la plus exclusive, qui entraîne tout l’organisme. Le cerveau de l’enfant, principalement, est un vrai champ de bataille pour les idées et pour les impulsions qu’elles enveloppent ; là chaque idée nouvelle est une force de plus qui rencontre les idées déjà installées et les impulsions déjà développées. L’éducation tout entière est, à nos yeux, une œuvre de sélection intellectuelle. Passons en revue les principaux faits qui démontrent la force impulsive des idées, et supposons d’abord un esprit encore vide où soit introduite tout à coup la représentation d’un mouvement, l’idée d’une action quelconque, comme de lever le bras. Cette idée étant seule et sans aucun contre-poids, l’ébranlement commencé dans le cerveau