Page:Revue des Deux Mondes - 1890 - tome 99.djvu/560

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

c’est un sage ; il ne reproche rien à l’existence, il estime qu’elle lui a été douce et que la tranquillité, l’absence de préoccupation dont il jouit, méritent sa gratitude. Je le nommerai, car il me l’a permis ; on pourrait lui appliquer le mot que M. -J. Chénier a dit de Laujon : « Il a conservé l’habitude d’être aimé en ne perdant pas celle d’être aimable. » C’est Paul-Aimé Laurencin, qui lut un des auteurs dramatiques les plus applaudis de son temps. Ma femme et mon parapluie est un vaudeville dont la gaîté, pour ne pas dire la cocasserie, provoque un rire irrésistible ; je l’ai vu jadis, pendant quelque congé du collège, vers 1835, et je me souviens encore avec quelle verve Vernet, déjà vieux et fatigué, enlevait son rôle, dont le comique était d’une incomparable drôlerie. Cette pièce n’a point disparu du répertoire ; récemment elle a été jouée, le même jour, à Saigon et à Batignolles ; les droits d’auteur aux « extrêmes se touchent ; » la plaisanterie n’est pas de moi. M. Laurencin en a ressenti quelque fierté, car une pièce de théâtre qui tient l’affiche encore cinquante-cinq ans après la première représentation, n’est point chose commune. C’est surtout par Ma femme et mon parapluie qu’il est connu, mais dans son bagage dramatique, qui est considérable, on rencontre bien des œuvres dont le titre n’est pas oublié : Brelan de maris ; l’Abbé galant, où Bouffé déployait tant de finesse ; Paris qui pleure et Paris qui rit ; Peau d’âne, cette féerie charmante qui, renaissant toutes les fois qu’une direction théâtrale est en dénûment, a été jouée plus de 1,200 fois ; Amour et Patrie, dont l’émotion est profonde ; Mathilde ou la jalousie, un grand succès et cent autres, qui ont fait la joie de la génération à laquelle j’appartiens.

Né au mois de janvier 1802, d’après ce qu’il m’a dit lui-même, il est actuellement le doyen des auteurs dramatiques et le doyen des journalistes, cardes 1829 il collaborait au Corsaire, qui fut un des petits journaux aigus et lancinans de la fin de la restauration. Il a été le parrain du Charivari, qu’il a baptisé, c’est lui qui en a trouvé le nom ; il l’a pour ainsi dire fondé avec Philippon, dont le crayon inventa la fameuse poire, célèbre pendant toute la durée du règne de Louis-Philippe, et avec Louis Desnoyers, l’auteur de Jean-Paul Choppart et des Béotiens de Paris, un des meilleurs chapitres du Livre des cent et un, sur lequel le libraire Ladvocat a vainement tablé pour reconstituer sa fortune. Il est aussi le doyen des directeurs de théâtre ; en 1832, il était le général en chef de la troupe du Gymnase dramatique ; en revanche, il n’est que vice-doyen à la maison Galignani, un de ses co-pensionnaires est plus âgé que lui. Cette retraite ne lui a point été proposée, il est venu la chercher, il y paye pension ; c’est le loyer de son