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leur mobilier d’autrefois, sont bavardes sans mesure. Elles racontent l’histoire avec pièces à l’appui. Elles sont un document que l’on ne peut récuser. Un canapé en tapisserie fanée, une carpette élimée devant un lit où brillent encore quelques ornemens en cuivre doré, une armoire à glace en palissandre déverni, une pendule à sujet représentant Paul et Virginie à l’ombre d’un pamplemousse, des flambeaux abrités sous un globe, nous reportent à des splendeurs passées qui florissaient vers la fin de la restauration ou sous le gouvernement de juillet.

Sur la muraille d’une de ces chambres, qu’égayait alors un rayon de soleil, j’ai vu de petits tableaux qui n’étaient point mauvais, paysages de l’école classique avec ruines et bergers jouant de la flûte aux pieds de leurs bergères ; sujets de genre inspirés par la Gaule poétique de Marchangy et imités de Louis Ducis, dont le Van Dyck peignant son premier tableau, et le François Ier à Chambord, méritaient le suffrage de tous les gens de goût, ainsi que l’on disait lorsque le comte de Forbin était directeur général des musées royaux. A côté de ces toiles vieillottes qui semblent peintes par des troubadours en rupture de guitare, je me suis arrêté à regarder des miniatures dont quelques-unes, fines et colorées, ne sont point sans valeur. Ce sont des portraits, portraits de famille ; ceux dont elles offrent l’image ont glorifié leur nom parmi les lettrés de leur temps ; ils ont écrit des livres que l’on consulte encore ; les premiers, ils ont versé la lumière des investigations sérieuses, confirmées par de longs voyages, sur une des plus glorieuses époques de l’histoire chrétienne. Leur vie a été laborieuse, honorable entre toutes et si désintéressée que la maison Galignani s’est ouverte avec empressement devant une personne qui appartient à leur postérité directe.

Dans une autre chambre, j’ai avisé une miniature qui doit avoir été peinte par un bon élève d’Isabey père : portrait de jeune fille. La chevelure d’un blond de miel est disposée en coques surélevées au sommet de la tête et en boucles, — « en anglaises, » — le long des joues ; le Iront est ceint d’une ferronnière, les épaules sont à peine dissimulées par la mousseline d’un canezou blanc ; l’expression est charmante, éclairée par l’azur de deux yeux très limpides, avivée par le sourire d’une bouche rosée et adoucie par un ovale trop parfait pour n’avoir pas été un peu rectifié ; l’ensemble est d’une grâce exquise et le visage a dû être un des plus jolis que l’on pût voir. Je causais avec la pensionnaire qui avait bien voulu me permettre de pénétrer dans son appartement. Je lui trouvais je ne sais quel air de ressemblance avec le portrait que j’avais longuement regardé ; elle avait l’air d’être la trisaïeule de la fillette