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derrière les portes closes, quelque existence s’agite, c’est une existence discrète, assourdie et sans relations avec les choses extérieures : cela donne l’impression d’une sorte d’apaisement crépusculaire, qui est bien l’atmosphère morale d’une maison de retraite.


III. — LES CHAMBRES.

On s’est conformé au texte du testament de William Galignani, car chaque pensionnaire a la jouissance d’une chambre à coucher et d’un cabinet, formant un tout complet et indépendant. Elles sont toutes pareilles, ces chambres, et cependant l’on peut dire que, si elles se suivent, elles ne se ressemblent pas. Mêmes proportions, mêmes dispositions dans la bâtisse, mais dans l’aménagement des objets mobiliers, que de différences ! On pourrait les parcourir les unes après les autres, lorsque les pensionnaires sont absens, et reconnaître au premier coup d’œil les habitudes, sinon le caractère, de ceux qui en font leur demeure. Chacun y a mis son empreinte qui est comme un témoignage, ou tout au moins comme un indice de sa vie passée. Lorsque ces témoignages sont nombreux, ils dénoncent et permettent de reconstituer une existence entière ; même dans les chambres garnies des meubles uniformes de l’Assistance publique, on aperçoit promptement des nuances essentielles qui sont une révélation. Dans la façon dont le lit est fait, dans l’ordre ou le désordre qui règne parmi les ustensiles usuels, dans la manière dont les vêtemens sont suspendus au porte-manteau ou jetés au hasard sur les chaises, dans certaines provisions de bouche, — harnois de gueule, disait Jacques du Fouilloux, — placées sur les planches étagères du cabinet de toilette, on peut faire des observations qui équivalent à des confidences. Il en est ainsi partout, dans les maisons où les hospitalisés ont des appartenions particuliers. Seule dans les logemens réservés aux religieux et aux religieuses des communautés, la simplicité des chambres reste muette jusqu’au mystère. Cela m’a singulièrement frappé, lorsque autrefois j’ai entr’ouvert la cellule des sœurs de Saint-Paul et des frères de Saint-Jean, de Dieu ; Qui habite là ? Une paysanne ou une marquise ; un docteur ès sciences ou un ancien soldat ? Il serait impossible de le deviner.

Si les chambres que l’Assistance publique a munies de lits, de tables, de commodes, de chaises exécutées sur le même modèle ; dans les écoles professionnelles entretenues par la préfecture de la Seine, sont peu discrètes, on peut dire que celles que les pensionnaires ont meublées avec les débris, — épaves ou sélection, — de