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grèves deviennent de plus en plus violentes. Des usines ont été incendiées. Des collisions sanglantes ont déjà éclaté entre les troupes, réduites à se servir de leurs armes, et les populations, exaspérées. La grève a pris, à Budapest, une allure plus originale. Les boulangers ont déserté la ville et se sont retirés en masse, avec toute sorte de provisions, dans une île du Danube, où ils campent encore, attendant qu’on ait fait droit à leurs réclamations. C’est plus pittoresque et moins sombre qu’en Moravie. En Allemagne, enfin, où le socialisme a certes une force singulière et où l’on a chômé le 1er mai, la paix n’a pas été troublée, soit qu’on craignit une répression décisive, soit qu’on attendît ce que l’empereur allait dire à l’ouverture de son parlement.

C’est il y a peu de jours, en effet, au lendemain des grandes manifestations, que l’empereur Guillaume a ouvert à Berlin le Reichstag récemment élu, le premier parlement impérial du nouveau règne. C’était un moment attendu avec quelque curiosité. Le jeune souverain a déjà fait assez pour qu’on s’attende avec lui à de l’imprévu ? Il a accoutumé l’Allemagne et même l’Europe aux coups de théâtre. Le discours qu’il a prononcé l’autre jour en souhaitant la bienvenue à son parlement n’est peut-être pas un coup de théâtre de plus ; il n’est pas moins curieux et original surtout par l’accent si vivement personnel qui perce dans ce langage altier et décidé. C’est bien clair, Guillaume II aime à parler et à dire « ma politique ; » il aime à écarter toutes les fictions et à répéter le me, me adsum ! Il a aussi quelque plaisir, on peut le croire, à se sentir affranchi de la tutelle de l’homme jadis puissant qui est aujourd’hui à Friedrichsruhe et dont le souverain n’a même pas prononcé le nom devant le parlement. Par lui-même, d’ailleurs, en dehors de cet accent personnel d’un prince impatient de faire sentir ton action, ce discours impérial n’a sans doute rien d’absolument nouveau : il ne fait que résumer sous une forme plus vive les affaires du jour. L’empereur Guillaume parle avec une évidente sincérité de son désir de « maintenir la paix d’une façon durable, » de ses efforts dans l’intérêt de la paix ; il parle en même temps, il est vrai, de la nécessité d’augmenter les effectifs des corps de troupe, l’artillerie de campagne, — toujours pour mieux assurer la paix : euphémisme invariable désormais en usage pour déguiser l’émulation des armemens ! L’empereur parle aussi, mais rapidement, sans trop insister, de la politique coloniale, des entreprises allemandes dans l’est africain. Il n’y met pas on le sent, une passion bien vive.

En réalité, ce discours par lequel Guillaume II a inauguré son nouveau parlement est tout plein de la préoccupation qui lui a déjà inspiré et ses rescrits et la réunion de la conférence de Berlin, — la préoccupation des questions sociales et ouvrières qui éclipsent toutes les autres. Et le jeune souverain ne s’est pas borné à remplir son discours de cette pensée dominante ; il a déjà fait présenter au Reichstag des