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parts, en effet, dans la plupart des régions industrielles de la France, ces grèves se succèdent et se répandent à un signal insaisissable ou spontanément, avec l’invariable mot d’ordre des revendications ouvrières qui court l’Europe. La contagion gagne plus ou moins presque tous les corps de métiers. Mineurs, verriers, tisseurs, gaziers, mégissiers, quittent l’usine ou l’atelier, s’excitant mutuellement, organisant de véritables campagnes, dangereuses et ruineuses campagnes. Leur programme n’a rien de compliqué, au moins sur le papier. Ils demandent la diminution des heures de travail et l’augmentation des salaires, moins de peine et plus de rémunération ; ils demandent aussi à faire un peu la loi aux patrons dans leurs ateliers. C’est ainsi un peu partout, avec des degrés divers d’intensité, du nord au midi, dans la région minière de Bessèges, dans le centre, à Commentry, comme à Saint-Étienne. Dans le nord, à Lens, à Roubaix, à Tourcoing, autour de Lille, la grève a mis sur pied peut-être plus décent mille ouvriers surexcités » et a pris sur certains points une allure de violence menaçante, si bien qu’il a fallu envoyer de toutes parts des forces militaires pour protéger la paix publique et garantir autant que possible la liberté du travail. Il est bien clair que ces grèves, ces incidens d’agitation qui éclatent sur tant de points à la fois, ne sont plus ou moins qu’une suite ou un épilogue de la journée du 1er mai, et que tous ces faits réunis ne sont que le symptôme de ce vaste mouvement ouvrier, devenu un des plus curieux phénomènes du temps. La manifestation du 1er mai est passée, les grèves elles-mêmes pourront passer ; le mouvement reste, d’autant plus redoutable qu’il est visiblement plein de confusions, que ce qu’il peut y avoir de sérieux dans les revendications ouvrières est obscurci et dénaturé par les excitations factices, par toute sorte de promesses ou d’aspirations chimériques.

Évidemment, tout n’est pas fiction et artifice dans ces agitations trop retentissantes du monde du travail. A travers tout, il peut y avoir parmi les populations qui sont à la peine et au dur labeur, qui participent à l’œuvre dévorante de l’industrie moderne, il y a sûrement des souffrances, des besoins réels, des vœux légitimes : personne ne le méconnaît, et c’est justement un des plus généreux soucis de notre temps de se préoccuper de tout ce qui peut relever la condition sociale et économique de ces populations laborieuses. On ne se refuse à rien, pas même aux expériences peut-être plus périlleuses que profitables. Le malheur est que souffrances et besoins réels des populations vouées au travail ne sont que des prétextes, des thèmes de déclamations, et que les ouvriers eux-mêmes ne sont le plus souvent sans le savoir que les instrumens d’agitateurs, artisans intéressés de révolution et d’anarchie. Qu’on regarde de près ces grèves ou ces manifestations partout où elles se produisent, à Lens, à Roubaix, à Bessèges, à Commentry ou ailleurs : la plupart des vrais ouvriers n’ont eu aucune initiative et