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MARSYAS.


Ton père Hyagnis ne t’aurait pas pleuré.
ANTIPATER.

Les pins du bois natal que charmait ton haleine
N’ont pas brûlé ta chair, ô malheureux ! Tes os
Sont dissous et ton sang s’écoule avec les eaux
Que les monts de Phrygie épanchent vers la plaine.

Le jaloux Citharède, orgueil du ciel hellène,
De son plectre de fer a brisé tes roseaux
Qui, domptant les lions, enseignaient les oiseaux ;
Il ne reste plus rien du chanteur de Célène.

Rien qu’un lambeau sanglant qui flotte au tronc de l’if
Auquel on l’a lié pour l’écorcher tout vif.
O Dieu cruel ! O cris ! Voix lamentable et tendre !

Non, vous n’entendrez plus sous un doigt trop savant
La flûte soupirer aux rives du Méandre…
Car la peau du Satyre est le jouet du vent.


LA PRIÈRE DU MORT.


Au nom de Zeus hospitalier !
DAMAGETE.

Arrête ! Écoute-moi, voyageur. Si tes pas
Te portent vers Cypsèle et les rives de I’Hèbre,
Cherche le vieil Hyllos, et dis-lui qu’il célèbre
Un long deuil pour le fils qu’il ne reverra pas.

Ma chair assassinée a servi de repas
Aux loups. Le reste gît en ce hallier funèbre.
Et l’Ombre errante aux bords que l’Érèbe enténèbre,
S’indigne et pleure. Nul n’a vengé mon trépas.

Pars donc. Et si jamais, à l’heure où le jour tombe,
Tu rencontres au pied d’un tertre ou d’une tombe,
Une femme au front blanc que voile un noir lambeau ;

Approche-toi sans peur, parle-lui sans alarmes :
C’est ma mère, Étranger, qui, sur un vain tombeau,
Embrasse une urne vide et l’emplit de ses larmes.