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il était arrivé que, pendant ce séjour, Cherubini, cédant aux instances réitérées de la famille de son hôte, avait consenti à interrompre ses nouvelles occupations pour écrire le Kyrie et le Gloria d’une messe qui devait être chantée dans l’église voisine du château. Une fois mis en train par ce premier essai, le maître avait poursuivi, en la développant chaque jour de plus en plus, la tâche dont il s’était chargé d’abord à contre-cœur et avec l’intention de ne la remplir que dans la proportion strictement convenue. La musique de la messe, complétée par lui après son retour à Paris, fut exécutée dans l’hôtel de Chimay, d’où l’admiration qu’elle avait provoquée se répandit si bien au dehors que, au bout de quelques mois, l’ouvrage était accueilli dans l’Europe entière non-seulement comme un chef-d’œuvre en lui-même, mais comme la révélation d’un art tout nouveau. La pensée qui avait dirigé le compositeur dans ce travail différait, en effet, de tous points, a dit M. Fétis, « des principes et des inspirations propres à la musique de l’ancienne école romaine. Celle-ci avait été conçue comme l’émanation d’un sentiment dépouillé de toute passion humaine : Cherubini, au contraire, voulut que sa musique exprimât le sens dramatique des paroles, et, dans la réalisation de cette pensée, il a fait preuve d’un si haut talent qu’il est resté, en ce genre, sans rival. La réunion des beautés sévères de la fugue et du contre-point, avec l’expression dramatique et la richesse des effets d’instrumentation, est un fait qui appartient en propre à son génie. »

Encouragé par le succès de sa première tentative, Cherubini ne se détourna plus de la voie où il était entré. Lorsque l’espèce de proscription qui avait pesé sur lui au temps de l’empire eût pris fin avec le règne de Napoléon, il put d’autant mieux se donner carrière qu’il rencontra, en toute occasion, plus de faveur auprès du gouvernement de la restauration. Nommé, en 1816, surintendant de la musique du roi en remplacement de Martini ; puis, six ans plus tard, directeur du Conservatoire, Cherubini, dans la période comprise entre le retour de Louis XVIII et la révolution de 1830, composa, outre plusieurs messes et un grand nombre de morceaux détachés pour la chapelle royale, ces quatre Messes solennelles qui devaient mettre le sceau à sa renommée et rester désormais des modèles classiques de la grandeur dans l’invention et de l’élévation dans le style.

En perdant l’auteur de ces chefs-d’œuvre, l’Académie des Beaux-Arts se voyait privée d’un des principaux soutiens de sa propre gloire. Aussi pour signaler le caractère tout particulier du deuil que cette perte lui imposait, voulut-elle recourir à des mesures en dehors de ses règlemens et de ses usages. Jusqu’alors la