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qui achevaient de clore l’histoire même des progrès accomplis dans notre école à partir du consulat et de l’empire jusqu’aux derniers jours de la restauration. Un des plus glorieux représentans de cette époque, et, parmi les académiciens le seul, avec l’architecte Fontaine, qui la personnifiât encore, Cherubini, était mort le 15 mars 1842[1]. Né à Florence en 1700, il y avait plus d’un demi-siècle qu’il habitait la France où le succès d’abord contesté du premier ouvrage écrit par lui pour la scène de l’Opéra, Démophon (1788), avait été, de 1789 à 1800, suivi des succès de plus en plus retentissans d’ouvrages représentés au théâtre Feydeau, Lodoïska, le Mont Saint-Bernard, Médée, les Deux journées, etc. Enfin, dans les années comprises entre le commencement et la fin de l’empire, Cherubini avait confirmé par la production de six autres opéras la haute réputation qu’il s’était acquise et déterminé dans la musique française, au point de vue de la grandeur ou de la nouveauté des combinaisons harmoniques et des dispositions instrumentales, cette révolution que tous les compositeurs contemporains, depuis Grétry jusqu’à Berton, saluaient comme une ère de progrès décisifs. Méhul lui-même, dans une lettre adressée à un journaliste qui avait, bien malencontreusement il est vrai, reproché à Cherubini de n’avoir guère que des « réminiscences, » Méhul se faisait généreusement le champion de la cause de son dangereux rival. « Je le dis et je le prouverais devant l’Europe entière, écrivait-il en 1.803, l’incomparable auteur de Démophon, de Lodoïska et de Médée n’a jamais eu besoin d’imiter pour être le grand artiste qu’il est, pour être ce Cherubini enfui que quelques personnes pourront bien qualifier d’imitateur, mais qu’elles ne manqueront pas d’imiter à la première occasion. » Et, de son côté, Beethoven, qui avait entendu à Vienne l’opéra de Faniska, écrit en 1806 pour le théâtre de cette ville, n’hésitait pas à en proclamer l’auteur « le premier compositeur dramatique de son temps. »

Si éclatans toutefois que fussent les mérites dont Cherubini avait fait preuve en composant ses opéras, c’était dans des œuvres d’un autre ordre qu’il devait déployer plus manifestement encore les mâles qualités de son génie. La seconde moitié de la carrière du maître a été presque exclusivement consacrée à des

  1. Il faudrait, à la rigueur, joindre aux noms de Cherubini et de Fontaine celui de Spontini, puisque l’auteur de la Vestale et de Fernand Cortez vécut jusqu’au commencement de l’année 1851 ; mais en 1842 Spontini n’était encore qu’un académicien en service extraordinaire, pour ainsi dire. Bien qu’il eût été élu en 1839, il ne vint, — et cela sur l’injonction formelle de ses confrères, — prendre possession de son siège que quatre ans plus tard, lorsqu’il se fut décidé à quitter Berlin, où il était fixé depuis 1820.