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mort ! Elle vient aussi pour moi ; elle est là, elle frappe à ma porte… » Les pressentimens de Gérard ne le trompaient pas. Encore un peu de temps et la tombe allait se fermer sur le seul maître qui représentât encore l’ancienne école, sur le dernier de cette génération de peintres à laquelle avaient appartenu Girodet, Gros et Guérin.

C’était aussi, dans son art spécial, un des représentans les plus éminens du passé que ce vieil ami de Gérard, Charles Percier, qui succombait après lui à une année seulement d’intervalle. Mieux qu’aucun autre parmi les architectes ses contemporains, il personnifiait les idées qui avaient prévalu et le mouvement qui s’était accompli dans notre école depuis la fin du XVIIIe siècle ; mieux qu’aucun d’eux, — quelle que puisse être la part à faire dans ses ouvrages à son fidèle collaborateur Fontaine, — il avait réussi à renouveler notre architecture nationale en substituant à la pure contrefaçon des monumens antiques ou des monumens de la renaissance des formes plus discrètement classiques, plus ingénieusement appropriées aux exigences de l’esprit moderne et aux besoins de notre civilisation. Les grands travaux exécutés sous la direction de Percier depuis le commencement du Consulat jusqu’à la fin de l’empire, ses nombreux projets dessinés, l’influence qu’il exerça sur des élèves, dont plusieurs, devenus des maîtres à leur tour, devaient le rejoindre à l’Académie, en un mot, ce qu’il a fait personnellement ou ce que ses exemples ont suscité, résume presque l’histoire de l’architecture en France à cette époque. Quant aux souvenirs de sa propre vie, ils se concentrent dans les murs de ce palais du Louvre où il était né[1], qu’il ne cessa pas d’habiter depuis le jour où il eut entrepris d’en compléter les bâtimens ou d’en transformer les aménagemens intérieurs, et dont la mort seule put le séparer.

On se méprendrait fort néanmoins si l’on se figurait l’architecte du Louvre installé dans quelqu’une des principales parties de l’édifice qu’il avait si magnifiquement restauré. L’humble logis qu’il s’était réservé et qu’il occupa jusqu’au dernier moment, consistait dans quatre ou cinq petites pièces de l’entresol qui s’étend, à la gauche du guichet de la rue de Rivoli, le long de la cour du Louvre, et auquel il n’était possible alors d’accéder que par un escalier en bois, raide et étroit comme une échelle. Au point de vue du luxe et du confortable, l’appartement lui-même était à l’avenant. Point de papier de tenture pour recouvrir des murs restés tout uniment dans l’état où le maçon les avait laissés, et, quant au mobilier, force tables de travail composées chacune de deux tréteaux et d’une

  1. Le père de Percier était un des concierges du palais ; sa mère, une des femmes attachées à la lingerie de la reine.