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conseils donnés de professeurs à élèves et dont ceux-ci sont libres d’user à leur gré, il me paraît inutile de dire que toute controverse entamée, surtout d’aussi loin, toute explication fournie par la plume d’un pensionnaire, serait sans résultat. » Le différend n’en continua pas moins entre l’Académie des Beaux-Arts et le directeur de l’Académie de France à Rome. Bientôt, nouvelles instances de Vernet, nouvelle lettre qu’il eut le tort, cette fois, de faire ou de laisser insérer dans un journal très répandu, comme pour en appeler à l’opinion publique des résistances qu’il rencontrait ; enfin, au bout de quelques semaines, troisième et dernière dépêche ainsi conçue : « S’il est dans les convenances de l’Académie des Beaux-Arts de refuser d’entendre la justification d’un pensionnaire du roi à Rome, lorsque cette justification est présentée par le directeur de l’Académie de France, il est de l’honneur de ce dernier de ne pas s’associer à un acte qu’il regarde comme inique. J’ai, en conséquence, donné ma démission motivée à M. le ministre de l’intérieur. » Les choses, toutefois, devaient en rester là, fort heureusement pour tout le monde. La révolution de Juillet, qui avait éclaté sur ces entrefaites, coupa court à la correspondance, devenue plus que jamais difficile, sur la question soulevée par Vernet, et celui-ci, justement occupé d’autres soins, oublia vite ses projets de retraite.

Le moment, en effet, eût été mal choisi pour abandonner le poste de directeur de l’Académie de France, et Vernet n’était pas homme à se dérober, en pareil cas, à son devoir. Les événemens politiques qui venaient de s’accomplir dans notre pays avaient eu leur contre-coup en Italie, notamment dans plusieurs villes des États de l’Église où l’agitation des esprits, parfois des commencemens de troubles dans les rues, semblaient présager quelque tentative prochaine de soulèvement à Rome même. Les inquiétudes à ce sujet du gouvernement pontifical étaient vives, mais elles n’allaient pas jusqu’à l’égarer sur les moyens d’écarter le péril et sur les gens du côté desquels pourraient venir les attaques. Aux yeux du peuple, au contraire, ou tout au moins d’une partie du peuple, tout le mal était imputable aux Français établis ou se trouvant passagèrement à Rome, chacun d’eux étant nécessairement un révolutionnaire et l’Académie de France un foyer permanent de conspiration[1]. Déjà, vers la fin du siècle précédent, au

  1. « Chose étrange ! écrivait Mendelssohn le 1er mars 1831, toute la populace de Rome concentre sa haine sur les pensionnaires français, qu’elle croit capables de faire aisément à eux seuls une révolution… » Et, à ce propos, Mendelssohn dépeignait en termes singulièrement vifs l’attitude plus que timide, suivant lui, des artistes allemands qui l’entouraient et qui, après avoir, sur l’ordre de la police, « coupé tous leurs moustaches, leurs favoris, leurs barbiches petites ou grandes, disaient sans vergogne qu’ils les laisseraient repousser dès que le danger serait passé… Ces grands et gros gaillards, ajoutait-il, rentrent chez eux à la nuit tombante et s’y enferment… Ils traitent Horace Vernet de bravache : quelle différence, pourtant, entre lui et ces tristes sires ! .. » (Lettres. n° XXIII.)