Page:Revue des Deux Mondes - 1890 - tome 99.djvu/423

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

de la dignité nationale. » « Avant de nous résigner à un rôle si humble, il faudrait s’être bien assuré qu’une nécessité sans merci nous y condamne. »

Vingt et une Universités et vingt-neuf mille étudians en Allemagne, pour quarante-six millions d’habitans, ce serait pour la France, si l’on raisonnait du même au même, seize ou dix-sept groupes de Facultés et vingt-deux mille cinq cents étudians. Mais ici, on ne peut raisonner de la sorte. C’est uniquement par analogie qu’il faut conclure, et l’on sait que l’analogie, sous peine d’erreur, doit tenir compte des différences autant que des ressemblances. Or, dans l’espèce, entre la France et l’Allemagne, nombreuses et profondes ont été de tout temps les différences ; nombreuses. et profondes elles sont restées.

Tout d’abord, c’est la façon dont sont organisées les études secondaires. En Allemagne, on les tient pour une partie, non pour un tout, pour un acheminement, non pour une fin, en un mot, pour la préparation aux études supérieures qui se font à l’Université. En France, au contraire, organisées à une époque où, en dehors des études professionnelles de droit et de médecine, il n’y avait pas à proprement parler d’enseignement supérieur, on y a mis, en outre de ce qu’elles devraient normalement contenir, quantité de choses qui rentrent vraiment dans le domaine des Facultés, la philosophie, l’analyse géométrique, certaines parties élevées de la physique et de la chimie. On les y a mises, et on les y laisse, un peu par habitude, beaucoup aussi parce que, pour nombre d’élèves, ce n’est pas la Faculté, mais l’Ecole spéciale, qui est l’aboutissant naturel du lycée. Aussi, qu’en résulte-t-il ? En Allemagne, la Faculté de philosophie, sciences et lettres ensemble, est la plus peuplée de toutes. Au sortir du gymnase, les esprits vont s’y mettre pour quelque temps au régime de la science libre. Chez nous, au contraire, le baccalauréat, avec son appareil encyclopédique, est tenu pour une quittance générale et définitive envers les lettres et les sciences. On se spécialise aussitôt, et rarement on s’avise avant de le faire qu’il y a, au-dessus du collège, des écoles largement ouvertes, où il serait bon de passer quelque temps. Par suite, à l’inverse de l’Allemagne, nos Facultés des lettres et des sciences, si longtemps sans élèves réguliers, n’ont encore aujourd’hui entre toutes les autres que le plus faible contingent, et composé pour la majeure partie d’aspirans professeurs, maîtres-répétiteurs, boursiers et candidats, aux grades. J’ai confiance que la nouvelle loi militaire, qui donne à la licence ès lettres et aux licences ès sciences une prime égale à celles du doctorat en médecine et du doctorat en droit, apportera à cet état de choses d’heureux changemens. Mais pour longtemps encore nos meilleures recrues,