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D’autres dangers étaient attachés à cette rupture. M. le comte d’Artois et son fils, le duc de Berri, n’avaient pas quitté l’Angleterre. Autour d’eux se groupaient quelques émigrés qui ne cessaient d’entretenir des correspondances avec leurs amis de France. Les chefs de chouans, encore rebelles, se tenaient toujours disposés à entrer dans de nouveaux complots. Un journal, écrit en français par un homme de lettres du parti, entretenait, à force de calomnies et d’injures, les ardeurs et les illusions royalistes ; le premier consul s’indignait de ne pas obtenir du gouvernement anglais la répression de ces offenses, il ne comprenait pas comment ceux qui l’insultaient et conspiraient contre lui pouvaient trouver un abri sous les lois de l’Angleterre.

Maintenant, on était en pleine guerre. L’activité des réfugiés et leurs espérances redoublaient de jour en jour. Une alliance unissait aux royalistes quelques hommes de la Révolution, que rapprochait une exécration commune contre le premier consul. Deux illustres généraux, depuis longtemps exilés, et plusieurs officiers dévoués à leurs anciens chefs, s’associaient aux menées qu’encourageaient les princes. Ainsi que cela se passe toujours, des espions avaient gagné la confiance des conjurés. Le plus célèbre dans ce métier, Méhée de La Touche, fut envoyé en Angleterre. Le général Donnadieu, déjà employé dans des occasions pareilles, reçut une semblable mission de la police militaire. Il ne faut pas croire que la police se proposât de suggérer des attentats contre le premier consul, avec l’assurance qu’ils seraient déjoués et que son élévation à l’empire, dont on s’occupait beaucoup, en serait le résultat. Il n’y a pas de police assez stupide pour risquer un tel jeu. Mais les espions, comme toujours infâmes scélérats, afin de mieux apprendre les secrets, de donner plus d’intérêt à leurs informations et par cette émulation active que chacun apporte dans l’exercice de son métier, devinrent agens provocateurs. Méhée et ses collègues jouaient peut-être aussi double jeu pour recevoir double salaire et fournissaient des avis aux deux partis sans savoir quel serait le dénouement. Ce qui est certain, c’est que, le fil un instant perdu, la police française ignora pendant plusieurs mois la présence dans Paris de Cadoudal.

C’était à ce moment que Bonaparte songeait à devenir souverain et à fonder une dynastie. Il ne fut pas d’abord aidé par le sentiment public, qui, sans s’être retiré de lui, n’avait plus l’enthousiasme et l’adoration du 18 brumaire et de Marengo. On s’apercevait de toute son ambition. La manière dont il s’était décerné le consulat à vie lui avait nui, non pas que l’immense majorité ne fut très heureuse de le lui offrir, mais il se l’était donné lui-même pour le faire ensuite sanctionner par le suffrage universel, qui ne