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— Je savais cela, mais je n’ai aucun avantage à en tirer. Puisque je rétablis la religion en France, c’est pour qu’elle soit honorée et respectée. Si j’exigeais de telles concessions du saint-siège, je déshonorerais le pape et l’Église. L’opinion religieuse en France n’entend pas ainsi le catholicisme et prendrait le concordat en grand mépris.

C’est M. de Sémonville qui m’a raconté cette preuve de bon sens de Napoléon.

Il n’a pas toujours eu ce respect pour le pape, lorsqu’il s’est cru le maître du monde. Et cependant, quand il réunissait Rome à la France, et tenait le souverain pontife enfermé à Savone, quand il exigeait du pape une obéissance servile, après l’avoir dépouillé de ses États et de sa souveraineté, il lui revenait, selon l’occasion, des retours de justice et de raison. Il jugeait cette situation ni régulière, ni susceptible de durée et cherchait un dénoûment, s’irritant de la fermeté patiente de Pie VII.

Un jour où il était soucieux et de mauvaise humeur, M. Rœderer lui dit qu’il n’avait pas longtemps à attendre, que le souverain pontife vieux, malade, abattu par le malheur, avait sans doute peu de mois à vivre, qu’alors l’empereur ferait élire son successeur, le cardinal Fesch ou un autre, et que tout s’arrangerait.

— Que dites-vous là, monsieur Rœderer ? Je vous croyais plus fort que cela. Comment, un pape que je ferais nommer, — qui serait mon serviteur, — dont je ferais ce que je voudrais ! ce ne serait pas un pape ; l’Église ne le reconnaîtrait pas ; la catholicité ne l’accepterait pas, ce serait un embarras pour moi.

Ce propos m’a été rapporté par M. Rœderer lui-même.

Une fois le traité signé, le langage de quelques généraux fut tellement comminatoire que le premier consul les fit mettre en prison, sans poursuites judiciaires et sans donner aucune publicité à cette mesure. C’est ce qu’on appela la conspiration des généraux. Pour laisser à l’émotion le temps de se calmer, on n’annonça pas officiellement la signature du concordat. Le gouvernement attendit la ratification du pape, puis présenta au corps législatif les articles qui comportaient une sanction légale, en y ajoutant quelques dispositions que le saint-siège n’a jamais reconnues.

Le concordat ne fut donc promulgué qu’au bout de deux mois. Le jour de Pâques de l’année 1802, le premier consul se rendit en grande pompe au Te Deum chanté dans l’église de Notre-Dame. Je n’y pénétrai pas, tant la foule était entassée, mais je vis passer le cortège. Il présentait déjà un tout autre aspect que l’entrée aux Tuileries deux ans auparavant. Il avait un caractère militaire et monarchique qui aurait été impossible le lendemain du Directoire. On y remarquait aussi plus de luxe de voitures et d’équipages.