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les plus lucratifs, permettait au souverain de disposer des trois quarts du revenu de l’Église. De là des évêques non résidens ou des pensions assignées à des civils sur les évêchés, de là ces abbés mondains peu édifions, sur lesquels s’égayait la verve de nos pères, ces collectionneurs de canonicats et de prieurés, ces « gros décimateurs » qui ne songent nullement à recevoir les ordres ; de sorte que l’Église, être de raison, paraît riche, mais que le clergé pratiquant — curés portion nés et moines cloîtrés, — est pauvre, que dans cette ruche sainte ce sont les frelons qui mangent presque tout, et que, par suite du détournement qui en est fait, les biens ecclésiastiques, au lieu d’être une force pour la religion, sont pour la conscience chrétienne une occasion de scandale.

Telle était la situation en 1789 ; cette situation explique, et comment une assemblée telle que la constituante, dont la majorité était à coup sûr religieuse, eut l’idée de mettre la main sur ces biens dont le plus grand nombre était employé d’une façon si contraire aux intentions des donateurs primitifs, et comment l’Église accepta cette confiscation de son capital avec une certaine longanimité. Les desservans, dont les neuf dixièmes « tiraient le diable par la queue, » selon le mot populaire, avec les 500 francs de ce traitement minimum que l’on persistait à appeler « congru », c’est-à-dire convenable, bien qu’en réalité il ne le fût guère, virent avec plaisir que la nation leur garantissait pour le moins 1,200 francs par an, dans les plus humbles paroisses (ce qui entre parenthèses en représente aujourd’hui le double), et ce, non compris le logement et le jardin dépendant du presbytère. L’amélioration matérielle qui leur advenait personnellement dut les inviter à fermer les yeux sur la régularité de cette opération d’État qui consistait à prendre à un corps son capital, avec promesse de lui en servir la rente. Cette violation du droit de propriété n’avait d’ailleurs, dans la pensée de ses auteurs, rien d’antireligieux ; c’était un emprunt forcé, et l’État en usait de même envers les hospices et les écoles dont il versait les trésors dans sa caisse. À ces deux grands services publics, comme à l’Église, il promettait des moyens d’existence. Depuis le premier empire il n’a cessé de les leur donner, dans une mesure diversement large, comme il les a donnés à l’Église, — à l’église séculière, du moins, — sans qu’on puisse dire que celle-ci lui coûte bien cher, puisque le budget du culte catholique, s’élevant aujourd’hui à 43 millions, ne représente que l’intérêt à un demi pour cent des domaines qui lui ont été enlevés d’après la valeur de ces domaines avant la révolution, et d’un quart pour cent, si l’on tient compte de la plus-value qu’ils auraient aujourd’hui, par le simple mouvement ascensionnel de la richesse publique.