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fonctionnaires incompétens ; tandis que le clergé français, au contraire, estime que les mêmes instituteurs devraient être chargés de cette besogne.

Il est possible que, chez nous, beaucoup de curés se soient reposés volontiers, jadis, sur le maître ou la maîtresse d’école du soin de faire apprendre aux enfans le catéchisme, qu’ils se soient bornés à exercer à cet égard une surveillance parfois un peu indolente. La loi nouvelle les a réveillés et stimulés ; l’Église a senti le danger qui la menaçait et, du haut en bas de sa hiérarchie, elle s’est appliquée à y faire face. Le résultat aura donc été de substituer, pour la pédagogie spirituelle, un ministre du culte, dont la responsabilité est fortement en jeu, dont l’amour-propre est piqué au vif, à un éducateur civil qui, très certainement, n’y apportait pas la même ardeur. Est-ce bien là le but que s’étaient proposé les législateurs de ces dernières années ?

Quant à la neutralité rêvée, la pratique en apparaît hérissée de difficultés insolubles. Un enseignement primaire, ne pouvant être que l’exposé de conclusions très simples, consiste à faire connaître aux jeunes Français de sept à treize ans ces élémens qui, dans chaque science humaine, sont d’un accord commun. Il s’arrête au point où la controverse commence ; mais en morale, où la controverse commence dès le début, comment le magister qui ne peut s’empêcher de parler morale, puisque cette science figure en tête du programme scolaire, s’y prendra-t-il pour en parler avec la laïcité légale ? Cette situation a frappé de hauts esprits contemporains, placés pourtant à grandes distances les uns des autres dans l’horizon politique. En pratique, l’instituteur enseigne la morale populaire courante du XIXe siècle ; il n’en pourrait enseigner d’autre, ni même élever des doutes philosophiques sur celle-là, sans soulever des réclamations unanimes et sans risquer de perdre sa place. Et cette morale n’est autre que la pure morale chrétienne, moins le Christ ; la majorité, qui a voulu l’école neutre, ne permettrait donc pas qu’elle le demeurât ici. Ce sacrifice aux usages n’a pas été le seul. Dans les départemens, dans les localités où les électeurs sont à la fois républicains et religieux, l’opinion a été plus forte que la législation ; on a dû fermer les yeux, encourager même l’enseignement du catéchisme fait en classe par le maître officiel.

Il est donc arrivé qu’on a beaucoup mécontenté les catholiques et qu’on n’a pas atteint, qu’on n’atteindra pas le catholicisme par cette loi. On n’a pas mieux réussi avec les retranchemens progressifs que l’on a fait subir au budget des cultes. Les chambres ont pu, à la vérité, faire ces modifications budgétaires, comme ces changemens militaires, scolaires ou autres, sans violer en quoi que ce soit ni la lettre du concordat, ni l’interprétation que l’on en peut