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et réservant au contraire son indulgence, ses faveurs, pour la plèbe des ignorans, des faibles et des gueux, qui grouillent au fond de toute société plus ou moins civilisée. Certes, si une religion et un organisme politique paraissaient faits pour s’entendre, c’étaient bien celui-ci et celle-là. D’où vient qu’aujourd’hui ils se haïssent ? Le second paraissait introduire dans la vie publique, réduire en code, adapter à la machine gouvernementale qu’il construisait, les maximes et les préceptes que la première recommandait depuis tant de siècles. Ce qui les a divisés, ce qui les divise encore, c’est que ni les représentans de l’Église, ni les représentans de l’État, n’acceptent la liberté de conscience, loyalement, sans arrière-pensée, avec toutes ses conséquences.

Il y a bien eu des motifs accidentels, des faits d’une nature contingente, qui ont paru, durant ces vingt dernières années, enrégimenter l’Église dans les rangs d’un parti, qui lui en font partager la bonne et la mauvaise fortune : le clergé, par vocation, aime, et ce n’est pas un crime, ceux qui aiment le catholicisme, qui en observent du moins ostensiblement les rites. Napoléon III qui trouvait que la couronne de France valait bien une messe, et même plusieurs, augmentait le budget des cultes de 11 millions, entre 1852 et 1870, envoyait nos troupes à Rome, et maintenait ainsi, les jours de vote, sa clientèle catholique, en dépit des chefs du parti légitimiste reprochant vainement aux curés ce qu’ils nommaient une défection. Du moment où le catholicisme était rallié à la dynastie, les ennemis de l’empire devenaient aussi les ennemis du catholicisme, et comme ces ennemis de l’empire étaient principalement des républicains, il apparut que république et antireligion étaient inséparables, comme jésuitisme et droit divin paraissaient aller de pair sous Louis-Philippe. De religion, le personnel législatif et administratif d’il y a trente ans n’était pas, au fond, bien entiché ; le zèle de la maison de Dieu ne le dévorait pas outre mesure ; mais les politiques du moment obtinrent ce qu’ils ambitionnaient : les amis de la religion devinrent les ennemis de la république.

Et ils le demeurèrent après l’avènement effectif de cette forme de gouvernement… Dès lors, ce fut, vis-à-vis de l’Église, un assaut de politesses de la part des conservateurs et de mauvais procédés de la part des républicains. La majorité de 1871 à 1875 vouait nationalement la France au Sacré-Cœur, punissait, dans sa loi sur l’Internationale, la « provocation à l’abolition de la religion » de deux ans de prison et de 100 francs d’amende, décrétait des prières officielles au commencement de chaque session, et admettait la collation des grades par les universités catholiques au nom de la liberté ; au nom de la laïcité, la majorité de 1876 à 1889 proscrivait l’enseignement religieux de l’école publique, supprimait dans la loi