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recommencer la persécution contre les huguenots ; les injustices et les violences envers des citoyens inoffensifs lui parurent toutes naturelles. Au XVIIIe siècle, ce ne sont plus seulement des chrétiens qui se proscrivent entre eux, ce sont des catholiques, — molinistes contre jansénistes, — que des divergences d’appréciation sur « la grâce efficace par elle-même, » et « la prédestination gratuite, » poussent à demander les uns contre les autres, aux pouvoirs publics, des lettres de cachet et des ordres d’exil. La domination passe ensuite aux mains des partisans de la liberté religieuse, et l’un des premiers usages qu’ils en font est d’envoyer les ministres catholiques à l’échafaud.

Comparons ces époques à la nôtre, nous verrons combien elle leur est supérieure : sous la Restauration, qui fut une réaction religieuse, le summum des efforts de la majorité consista à faire voter une loi sur le sacrilège, qu’on n’osa jamais appliquer, et dont il ne reste que le magnifique discours prononcé contre elle par Royer-Collard. En ce temps-là, pour obtenir des postes, de l’avancement, des honneurs, tout ce que peut donner un état de 24 millions d’âmes et d’un milliard de budget, il fallait être plus ou moins poussé par la « congrégation » et le « parti prêtre, » comme sous la monarchie de juillet, qui fut une réaction antireligieuse, il fallut pour réussir être suffisamment « voltairien, » ennemi de l’ultramontanisme, des jésuites et de tous les moines. Veut-on un échantillon des exigences de l’opinion ? le ministère voyait une bravade dans le projet de Mgr Affre de confier la chaire de Notre-Dame au père Lacordaire, un dominicain, « ce qui était notoirement contraire aux lois. » L’archevêque de Paris, mandé aux Tuileries, était prévenu que, s’il y avait une émeute, on ne pourrait pas le défendre, que la garde nationale ne donnerait probablement pas, et on lui rappelait le sac de l’archevêché en 1830. A l’hostilité officielle des catholiques pour les libres-penseurs avait succédé l’hostilité officielle des libres-penseurs pour les catholiques et elle se traduisait de la même manière. A quarante et soixante ans de distance, tout cela nous paraît assez bénin. Sur le moment libres-penseurs et catholiques se représentèrent tour à tour, — il suffit pour s’en convaincre de lire les journaux et les discours du temps, — comme victimes de la plus odieuse tyrannie. Les uns et les autres s’illusionnaient ; telles ces collines qui paraissent de hautes montagnes à ceux qui les gravissent, et qui de loin, à l’œil du géographe, semblent à peine des plis de terrain. La république de 1848 et l’empire furent de bonnes époques d’apaisement religieux. La première fut, en haine du roi Louis-Philippe, saluée avec joie par le clergé qui s’empressa de bénir les arbres de la liberté. Le nouveau régime avait adopté, vis-à-vis de. l’Eglise, une neutralité bienveillante (de