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et les gouvernant sans avoir reçu l’institution canonique. Parfois c’étaient des questions diplomatiques qui allumaient les querelles ; le Vatican et le Louvre commençaient la guerre sur le terrain temporel et la continuaient sur le terrain spirituel : les papes, à défaut de soldats, mettant au service de leurs alliés des excommunications contre leurs adversaires ; Henri II se brouillant avec Jules II au sujet de Parme et des Farnèse, et défendant aux évêques français de prendre part au concile œcuménique.

Notre haut clergé était, aux mêmes époques, imbu d’un esprit de raideur et de résistance qui rendait souvent très difficile la tâche de la papauté. D’illustres docteurs, recherchant jusque dans les traditions primitives les droits que pouvait avoir l’épiscopat de tenir tête au pontificat, rappelaient du haut de la chaire que saint Paul avait dit en face à saint Pierre des vérités hardies sur la façon dont il conduisait l’Eglise, qu’il les lui avait dites, c’est Bossuet qui parle, « dans une épître qu’on devait lire éternellement, et que Pierre, qui les entendait, ne s’en fâchait pas. » Ce droit de remontrance, appliqué par d’étroits cerveaux, nous valut au XVIIIe siècle toutes les difficultés jansénistes et les obstinés appelans de la bulle Unigenitus. Ce n’était pas seulement les limites de l’autorité personnelle du pape que l’on discutait, puisque les décrets du concile de Trente, en matière de discipline, ne furent jamais reçus en France, et qu’il en résulta pendant deux cents ans de singulières disputes sur l’âge auquel on pouvait validement contracter des vœux monastiques, âge qui n’était pas le même selon l’Église et selon l’État.

Aujourd’hui je ne pense pas qu’un seul parti politique sérieux songerait à consacrer l’or ou le sang français à la résurrection des états du pape ; en revanche, le saint-père a pu proclamer depuis trente ans deux dogmes nouveaux, tous les deux de haute importance, et le second capital pour la doctrine catholique, sans qu’aucune opposition se soit manifestée de la part de nos gouvernemens, sans qu’aucune objection ait été élevée à ce sujet. Ces deux observations résument à elles seules la nouvelle attitude des deux pouvoirs telle qu’elle résulte de la marche des idées modernes. La non-intervention, pratiquée dans ces graves circonstances, a prévalu a fortiori vis-à-vis des actes courans de la puissance papale, des rescrits, bulles et brefs de toute nature, que les bureaux des cultes sont censés « examiner avant leur publication en France, » selon la formule de jadis, mais qui ne portent plus ombrage à personne. Il ne serait pas difficile de multiplier, en les saisissant sur le vil, les indices de cette séparation croissante des domaines ecclésiastique et laïque ; elle s’est poursuivie silencieusement et sans relâche dans l’opinion, à travers les révolutions et sous les divers et éphémères détenteurs du portefeuille des cultes,