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du XIIe siècle s’étaient réservés, tenaient le prélat en échec sur bien des points, bornaient de tous les côtés son autorité, énervée par des conflits toujours possibles. Rien de semblable depuis la révolution : l’évêque n’appartient pas en général à une tranche sociale plus élevée que ses prêtres, il est, de naissance, plus voisin d’eux, mais il est aussi plus maître d’eux. Nul n’a pouvoir sur son clergé que lui-même, et son pouvoir est aussi absolu qu’on peut l’imaginer. Les desservans de l’ancien régime étaient inamovibles, ceux d’aujourd’hui ne le sont plus, ils sont dans les mains de « monseigneur » comme les instituteurs dans celles de M. le préfet. Et l’évêque n’a pas, comme le préfet, de compte à rendre au ministre sous la coupe duquel il est placé ; des orateurs peuvent bien, à la tribune de la chambre, appeler, si cela leur plaît, les circulaires du ministre des cultes à l’épiscopat « des ordres donnés aux évêques par leur chef, dans l’exercice officiel de leur métier, » ils peuvent exiger que « le desservant d’une paroisse soit toujours à la disposition de ses administrés, » ce sont là des phrases vides de sens. Le prêtre, auquel des décisions et des rapports de la convention et de l’assemblée nationale de 1848 ont plusieurs fois et solennellement refusé la qualité de fonctionnaire public, ne reçoit plus d’ordres que de son évêque, et l’évêque n’en reçoit plus que du pape. Quant aux rapports des ministres du culte avec les populations, l’État ne peut ni forcer les catholiques à leur obéir, ni les empêcher de se conformer à leurs injonctions ; dans les deux cas il attenterait à la liberté de conscience. Sans que nul y veuille ou y puisse contredire, chaque diocèse a rétabli son « officialité, » tribunal ecclésiastique, juridiction volontaire, non reconnue par aucune loi, qui rend des sentences et édicté des peines privées, comme les chambres de discipline de certaines grandes industries.


III

Un de nos grands ministres d’autrefois, dignitaire de l’Église du reste, résumait ainsi la politique à suivre vis-à-vis du souverain pontife : « Il faut, disait-il, lui baiser les pieds et lui lier les mains. » Effectivement nos rois faisaient alternativement, et quelquefois en même temps, l’un et l’autre, et les autres princes de la chrétienté en usaient de même ; les gouvernemens modernes ne se soucient plus de faire ni l’un ni l’autre. Par suite, les papes ont recouvré, dans le domaine spirituel, une somme d’autorité dont ils n’avaient pas joui depuis de longs siècles. Les intrigues des couronnes pour l’élection des souverains pontifes, cet objet si important de la mission de nos ambassadeurs, ont presque totalement cessé ; avec elles ont disparu ces factions qui divisaient le sacré-collège en cardinaux à la