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et la seconde par M. Jules Ferry. La passion que ces gens éprouvent de se séparer du commun des hommes est si violente, qu’aujourd’hui où les couvens ne se recrutent plus, comme ils faisaient il y a cent ans, de garçons et de filles que leurs parens y mettaient dès le bas âge, avec l’intention bien arrêtée de les dédier à Dieu au moment de leur majorité, faute de pouvoir en tirer un parti sortable dans le monde, aujourd’hui où, les ordres monastiques ayant débuté à nouveau sans le sou, comme aux temps apostoliques, on a davantage à donner qu’à recevoir en y entrant, les congrégations atteindraient, si j’en juge par certaines statistiques que j’ai sous les yeux, un effectif quatre fois plus élevé que celui des séculiers qui émargent à la direction des cultes. On affirme aussi que leurs richesses seraient en voie de se reconstituer et friseraient, en capital, le milliard. J’admets qu’il y ait dans ces chiffres, un peu gonflés par un esprit de secte qui n’est point favorable aux congréganistes, quelque bonne part d’exagération. Mais que nous importe ? Fussent-ils, ces disciples de saint Benoît, de saint François, de saint Ignace, deux fois plus riches et deux fois plus nombreux, cette éclosion spontanée et si rapide, sans aucun encouragement matériel ou moral de la puissance sociale, mais au contraire malgré le mauvais vouloir et les entraves de cette puissance, démontre surabondamment que l’opinion, en ces sortes de choses, est plus forte que la législation, et que la vitalité d’une association religieuse ne tient pas à un instrument diplomatique. Elle confond à la fois, dans les deux camps opposés, les partisans de la protection et ceux de la persécution de l’État.

D’autres marques encore de l’esprit séparatiste : quoique en vertu de lois et de règlemens du premier empire et de la restauration le gouvernement soit en droit de se mêler de mille façons de la conduite des affaires religieuses, quoiqu’il puisse s’interposer entre les évêques et le pape, entre les curés et les évêques, de fait il s’en abstient. Il sent qu’il serait ridicule s’il le faisait. L’Église est ainsi devenue plus libre et sa hiérarchie plus serrée. Il existait, sous l’ancienne monarchie, un abîme entre les évêques cossus et distingués, gens du monde, gens nobles et bien apparentés pour la plupart, et les vicaires à portion congrue, un peu cuistres et fort près de terre. Seulement les exemptions, — cette « mousse des exemptions, comme disait saint François de Sales, qui a fait tant de mal à l’arbre de l’église, » — avaient soustrait bien des clercs, et souvent ces pauvres vicaires eux-mêmes, à la juridiction de leur pasteur. Des couvens, d’orgueilleux et intraitables chapitres, des seigneurs, patrons primitifs, ou des bourgeois qui en tenaient lieu et qui avaient acheté, avec la terre et le château, le droit de nomination aux cures, confondu parmi les autres droits féodaux que les chevaliers