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huit ans, cette religion, après un anéantissement que l’on pouvait croire définitif, rejaillirait d’elle-même du sol ? Au XVIe siècle, le pouvoir laïque dominait assez l’idée religieuse pour que partout, en Europe, les peuples devinssent protestans, assez volontairement ou du moins sans grande résistance, là où les princes le devenaient eux-mêmes. Ils poussèrent la complaisance jusqu’à adopter la nuance de protestantisme de leur souverain ; des centaines de milliers ou des millions d’hommes acceptèrent, du jour au lendemain, les idées de leur dynastie sur l’autorité du pape, le culte de la Vierge et le dogme de l’Eucharistie, comme une armée accepte le mot d’ordre de son général. Ils abjurent de la même manière que les hordes barbares, au déclin du monde romain, et les peuplades sauvages, aujourd’hui, se convertissent en bloc, à l’imitation de leur chef. Cependant on sortait, en 1520, d’un temps de foi que l’on nous représente comme l’âge d’or de la piété, pendant lequel toute tentative de dissidence avait été sévèrement réprimée, tandis que l’on sortait, en 1789, d’un temps d’incrédulité. Et cependant, ni l’exemple des classes dirigeantes sous Louis XVI, ni la volonté du pouvoir durant la révolution n’eurent de résultat. Il semble que la liberté de pensée et la poussée démocratique aient été favorables à l’idée religieuse ; il semble aussi que l’Église et l’État ne puissent plus rien l’un pour l’autre ni l’un contre l’autre. Car on a vu, depuis 1801, le peuple suivre sa pente sans s’inquiéter de la tendance des gouvernemens, que ces gouvernemens fussent ceux d’un monarque ou d’une assemblée, et sans leur emboîter le pas dans aucune de leurs fluctuations, dans aucun de leurs efforts favorables ou hostiles au christianisme ; au contraire, cette opinion moyenne, dont les déplacemens font et défont les majorités, paraît avoir à tâche de prévenir les excès des courans qu’elle-même a créés, soit qu’il s’agisse de mettre le culte dans la loi, comme sous Louis XVIII, ou hors la loi, comme à d’autres époques, de lui vouloir du bien ou du mal.

D’année en année, l’intervention de l’État a cessé de plus en plus de paraître légitime à l’Église, qui jadis l’acceptait, à la nation, qui la demandait, à l’État même, qui se mêle de moins en moins des affaires ecclésiastiques. Ceux des règlemens qui organisaient les invasions réciproques, les protections pour l’Église, les surveillances pour l’État, sont tombés d’eux-mêmes en désuétude. On a renoncé à réclamer les unes et à se servir des autres. Qui se souvient encore des joutes oratoires provoquées, sous la monarchie de juillet, par les appels comme d’abus, ces vrais pistolets de paille, et par les « libertés de l’église gallicane ? » Que ces « libertés » soient au nombre de quatre-vingts ou seulement de treize,. selon les dénombremens discordans des casuistes, toutes sont