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précédemment ne le possédaient pas. Et il est si bien entré dans la coutume que le comte de Chambord écrivant, il y a quelque douze ans, à une des personnalités les plus illustres de l’épiscopat et le traitant de « monsieur l’évêque, » ainsi que ses ancêtres avaient toujours fait, provoqua une sorte de scandale dans son propre parti ; que, plus tard, en 1882, quand le gouvernement actuel remplaça, dans la correspondance officielle, par le même « monsieur l’évêque, » le mot « monseigneur » employé depuis soixante ans, il parut aux yeux de tous les catholiques commettre une grosse inconvenance, et que le ministre même, — M. Paul Bert, je crois, — avait certainement quelque intention blessante en reprenant une formule qui cependant avait été celle des secrétaires d’état de Napoléon Ier. Ce gain de détail dans l’étiquette mondaine, qui date justement de l’époque où le pouvoir civil prenait soin de le prohiber par son premier règlement religieux, symbolise à la fois, et le peu d’autorité de l’État, quand il s’est immiscé de nos jours dans ce domaine privé des mœurs et des consciences, et le grandissement moderne de ce principat diocésain, si fort aujourd’hui et si indépendant, si peu semblable à ce qu’il était à la veille de l’ouverture des états-généraux.

En effet, ce ne sont pas seulement les rapports de l’église de France, en corps, avec le gouvernement, qui ont changé depuis cette époque, c’est aussi l’économie intérieure des clergés régulier et séculier, ce sont les relations de ces clergés avec le pape et celles des catholiques français avec leurs pasteurs et avec le souverain pontife ; tout cela s’est modifié, sous l’influence de l’opinion publique, à un point dont M. Portalis ne se serait jamais douté.


II

Si l’on faisait l’histoire politique des cultes en notre pays depuis quatre-vingt-dix ans, si l’on recherchait ce qu’il reste de catholicisme dans les lois, les idées, le langage, les mœurs publiques de la France actuelle et ce qui en a disparu en ce siècle, on serait frappé, à travers les péripéties des révolutions et des réactions en sens divers qui les accompagnent, de la persistance d’un fait dominant : les progrès de la séparation du temporel et du spirituel, autrement dit de l’État et de l’Eglise. Le premier symptôme de ce fait, n’est-ce pas la renaissance spontanée du culte aux derniers jours du XVIIIe siècle ? Qui aurait pu croire qu’à la fin de cette période de discussion, où le catholicisme avait été si gravement battu en brèche, où la tête de la nation, l’aristocratie presque tout entière, partageait le scepticisme de Voltaire ou le déisme de Rousseau, où les prêtres étaient bannis et les églises fermées depuis sept ou