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ville refuse-t-elle de recevoir le prédicateur envoyé par l’évêque, on plaide devant le parlement le plus proche, et le parlement se prononce entre le prélat et ses ouailles. L’official de Rouen interdit aux curés de porter l’étole lorsque le grand-archidiacre fera sa visite, les curés en appellent au parlement de Rouen, qui casse la sentence de l’official et rend aux curés le droit de se revêtir de cet ornement, l’archidiacre à son tour en appelle du parlement au conseil d’État… et ainsi de suite. De pareils débats n’étaient pas rares. Les tribunaux inférieurs intervenaient de même et souvent sur la demande de l’autorité ecclésiastique ; une sentence, rendue à la requête de la fabrique, condamne un particulier « à rendre le pain bénit ; » le juge du bailliage de Maintenon (Eure-et-Loir) condamne un bourgeois « à aller à la messe à l’église Saint-Pierre, sa paroisse, et non à l’église Saint-Nicolas. » Et comme un service en vaut un autre, les magistrats ont recours aux ministres de l’autel pour obtenir des révélations sur les crimes et délits dont ils recherchent les auteurs au moyen des monitoires qu’on publie au prône. Ces moratoires sont si commodes qu’on en abuse et que le clergé réclame ; d’autant que ce ne sont pas les seuls documens profanes qu’il lui faille intercaler dans la grand’messe : les officiers de finances font donner lecture par le curé du rôle des tailles ; les syndics, notaires et procureurs lui apportent mille annonces laïques : ventes, marchés, enchères et contrats. Si le temporel s’ingérait de cette façon dans le spirituel, ce dernier, en revanche, ne se faisait pas faute de le lui rendre, et comme les deux pouvoirs étaient très pointilleux sur la limite de leurs droits et que ces droits étaient très obscurs, on pense si les « appels comme d’abus » allaient leur train de part et d’autre. Autorisés, disait le clergé, pour réprimer les empiétemens réciproques de l’Église et de l’État, les appels comme d’abus ne cessaient d’augmenter en nombre. On les admit en cas de contraventions aux ordonnances royales, puis en cas de contraventions aux arrêts même des parlemens. Le gouvernement avait trop d’intérêt à laisser la question indécise pour la résoudre jamais de son plein gré. Ces appels étaient une de ces procédures à toutes fins que les souverains employaient ou désavouaient selon les besoins de leur politique jusqu’au jour de la révolution.

Mais ce jour-là tomba en poussière toute cette jurisprudence que les légistes, « pour opposer un frein à la cour de Rome, » avaient inaugurée, sur les instances du haut clergé, « pressuré, dit Mgr Affre, par les papes douteux d’Avignon, et désireux d’échapper aux subsides intolérables que lui imposait Benoît XIII. » En même temps que cette jurisprudence, tout s’effondrait de cette dualité mystique de l’autel et du trône, d’un roi « très chrétien, » consacré par une ampoule sainte régnant sur une France « fille aînée, de l’Église. »