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La Fayette sont remplies de remercîmens pour les attentions qu’il lui témoigne, et à aucune époque il ne paraît avoir été plus assidu auprès d’elle. Il fut même sur le point de réveiller sa muse endormie d’un long sommeil et de chanter à nouveau en vers français ou latins la beauté qu’il avait célébrée autrefois sous des noms si divers. Il fallut tout le tact de Mme de La Fayette pour l’en détourner et tout son esprit pour y parvenir sans le blesser.

« Vous m’appelez ma divine madame, mon cher monsieur. Je suis une maigre divinité. Vous me faites trembler de parler de faire mon portrait. Votre amour-propre et le mien pâtiraient, ce me semble, beaucoup. Vous ne pourriez me peindre que telle que j’ai été, car, pour telle que je suis, il n’y aurait pas moyen d’y penser et il n’y a plus personne en vie qui m’ait vue jeune. L’on ne pourrait croire ce que vous diriez de moi, et en me voyant on le croirait encore moins. Je vous en prie, laissons là cet ouvrage. Le temps en a trop détruit les matériaux. J’ai encore de la taille, des dents et des cheveux, mais je vous assure que je suis une tort vieille femme. Vous avez assez surfait ; quand les marchandises sont à la vieille mode, le temps de surfaire est passé. Je suis, en vérité, bien sensible à l’amitié que vous me témoignez. Cette reprise a l’air d’une nouveauté. »

Enfin, la correspondance se termine par cette dernière lettre, que je citerai tout entière, car elle nous fait revivre Mme de La Fayette telle qu’elle était dans ses dernières années, accablée de maux et de tristesses, mais tendre à ses amis, pieuse et résignée.

« Quoique vous me défendiez de vous écrire, je veux néanmoins vous dire combien je suis véritablement touchée de votre amitié. Je la reconnais telle que je l’ai vue autrefois ; elle m’est chère par son propre prix, elle m’est chère parce qu’elle m’est unique présentement. Le temps et la vieillesse m’ont ôté tous mes amis ; jugez à quel point la vivacité que vous me témoignez me touche sensiblement. Il faut que je vous dise l’état où je suis. Je suis premièrement une divinité mortelle et à un excès qui ne se peut concevoir ; j’ai des obstructions dans les entrailles, des vapeurs tristes qui ne se peuvent représenter ; je n’ai plus du tout d’esprit, ni de force ; je ne puis plus lire ni m’appliquer. La plus petite chose du monde m’afflige, une mouche me parait un éléphant. Voilà mon état ordinaire. Depuis quinze jours, j’ai eu plusieurs fois de la fièvre et mon pouls ne s’est point remis à son naturel ; j’ai un grand rhume dans la tête, et mes vapeurs, qui n’étaient que périodiques, sont devenues continuelles. Pour m’achever de peindre, j’ai une faiblesse dans les jambes et dans les cuisses, qui m’est venue tout d’un coup, en sorte que je ne saurais