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à M. Crispi, directement et personnellement atteint par la disparition de M. de Bismarck. Ce n’est point, pour tout dire, que quelques-uns de ceux-là mêmes qui combattent M. Crispi en soient dès ce moment à désavouer la politique qui a fait la triple alliance. Ils la défendent encore, témoin le dernier discours de M. Magliani ; ils semblent en parler toutefois plus timidement, sans illusion, comme pour couvrir leur retraite. En réalité, deux sentimens assez difficiles à concilier se manifestent au-delà des Alpes. D’un côté, on ne voudrait pas se séparer de cette alliance centrale à laquelle on s’est donné sans trop savoir à quoi on s’engageait, sans calculer les conséquences d’une politique qui enchaînait l’Italie à des intérêts étrangers. D’un autre côté, il y a le désir visible de se rapprocher de la France, de renouer entre les deux pays des rapports qui sont dans la nature des choses, que de faux calculs ont pu seuls altérer. C’est à ce sentiment que M. Crispi a cru sûrement répondre en envoyant récemment une escadre à Toulon pour faire honneur à M. le président de la république dans son voyage sur les bords de la Méditerranée. L’amiral italien chargé de porter une lettre du roi Humbert à M. le président de la république a été reçu comme il devait l’être. On a répondu par la courtoisie à une démonstration courtoise. On a échangé des politesses, rien de mieux ! Ce n’est certainement pas la France qui a contribué à créer des difficultés entre les deux nations et qui serait disposée à les aggraver ou à les prolonger. La France a l’avantage de n’être pas pressée et de n’avoir rien à demander à l’Italie. Elle ne lui demande que d’être elle-même, de reprendre possession de sa politique, de rentrer dans son indépendance et d’y rester. Et si les Italiens, éclairés par l’expérience, commencent à sentir qu’ils auraient autre chose à faire que de sacrifier leurs intérêts, leurs finances, leur commerce pour le bon plaisir d’une prépotence étrangère, ce serait bien un peu ce qu’on pourrait appeler la crise de la triple alliance au-delà des Alpes.

Les nations depuis longtemps façonnées aux mœurs libres, à la vie publique et à ses agitations ont cela de caractéristique et de rassurant pour elles que si elles ont comme les autres leurs crises, leurs grèves, leurs manifestations, elles ne font pas moins leurs affaires : elles ont du temps pour tout, sans oublier leurs intérêts positifs. L’Angleterre est certes un des pays où la liberté se déploie, avec le plus de puissance, où tout ce qui touche à la politique nationale est discuté avec le plus d’animation. C’est la vie du peuple anglais et de ses chambres. À peine le parlement, après ses courtes vacances de Pâques, s’est-il retrouvé à Westminster, le ministère a été assailli de questions sur toutes les affaires du jour, et sur les entreprises de l’Allemagne dans l’Afrique orientale, et sur Emin-Pacha, et sur le démêlé avec le Portugal, et sur l’Égypte, et sur les pêcheries de Terre-Neuve, qui sont un objet de litige avec la France.