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l’extérieur, et ce qu’on ressent en Allemagne, on le ressent encore plus dans les pays que l’ancien chancelier avait su rattacher à l’Allemagne.

Rien n’est changé sans doute ; « la route reste la même, » M. de Caprivi l’a répété l’autre jour après l’empereur dans la chambre prussienne, et il l’a confirmé dans ses circulaires diplomatiques. La triple alliance subsiste, on le dit à Berlin, on le dit encore plus haut à Vienne et à Rome : c’est possible ! Il n’est pas moins assez apparent que cette alliance a sa crise aujourd’hui, que les choses ne sont plus tout à fait ce qu’elles étaient hier. En dépit des protestations de M. de Caprivi sur le « maintien immuable et indissoluble » de l’alliance, il y a des doutes à Vienne. On soupçonne ou l’on suppose que le jeune empereur Guillaume a toujours l’arrière-pensée d’un rapprochement avec la Russie, qui l’a décidé, dès son avènement, à son premier voyage à Péterhof. M. de Bismarck a été l’obstacle ; aujourd’hui, l’obstacle a disparu. Le soin que la diplomatie de Berlin met plus que jamais à marquer la distinction entre les intérêts allemands et les intérêts autrichiens en Orient paraît être une médiocre garantie, et la liberté qu’on affecte de laisser à la politique autrichienne dans les Balkans ressemble à un commencement d’abandon. L’Autriche, sans l’avouer, sans le laisser voir, est peut-être d’autant plus préoccupée à l’heure qu’il est qu’elle se sent moins garantie dans sa politique extérieure au moment même où elle a tous les embarras intérieurs à la fois : et les revendications tchèques qui résistent à toutes les tentatives de compromis, et ces agitations ouvrières qui se répandent comme une contagion dans l’empire, qui ne sont qu’un épisode du mouvement socialiste universel. Les circonstances aidant, la crise allemande risque fort de devenir la crise de la triple alliance à Vienne, — et par extension, par les mêmes raisons ou des raisons analogues, à Rome aussi bien qu’à Vienne.

On a beau s’en défendre au-delà des Alpes, les derniers événemens de Berlin ont ébranlé la confiance et dissipé plus d’une illusion à Rome ou, si l’on veut, ils ont ravivé le sentiment de la réalité parmi les Italiens. Ils semblent tout au moins avoir donné une force nouvelle à un mouvement d’opinion qu’on pouvait distinguer déjà depuis quelque temps. Ce n’est pas d’aujourd’hui, en effet, que les Italiens prévoyans et sensés ont commencé à calculer ce que leur avait coûté la triple alliance, et par les dépenses militaires démesurées qu’elle leur a imposées et par les pertes de toute sorte dont elle a été la première cause en entraînant l’Italie dans une rupture commerciale avec la France. C’est le fond de l’opposition qui se manifeste depuis quelque temps au-delà des Alpes, sans avoir réussi encore à se coordonner. La révolution ministérielle de Berlin n’a peut-être fait que stimuler et accélérer ce mouvement d’opinion, en créant du même coup une situation délicate