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toute physique, si je puis ainsi dire, s’élevait dans son cœur, montait à ses lèvres, et se répandait en injures contre les rois et contre les. prêtres. Ce qu’il y a de puéril et ce qu’il y a d’étroit, ce qu’il y a de superficiel, dans cette conception de L’histoire, j’en dirai deux mots tout à l’heure. Pour le moment, je n’en veux retenir que ce qu’elle a de généreux, sinon dans son principe, au moins dans quelques-unes de ses conséquences., Et plus j’y ai songé, plus il m’a paru que si l’honneur, si la gloire, si la part originale de Voltaire dans l’œuvre du XVIIIe siècle étaient vraiment quelque part, elles sont là.

Pourquoi, comme on l’a dit, son pathétique au théâtre, s’il manque toujours de noblesse, est-il plus « déchirant » que celui de Racine et que celui de Corneille ? Que veut-il dire quand il se vante « qu’on trouvera dans tous ses écrits cette humanité qui doit être le premier caractère d’un être pensant ? » A quelle intention écrit-il son Essai sur les mœurs ou son Traité sur la tolérance ? Il ne faut pas marchander à le reconnaître ; et, selon le mot du don Juan de Molière, c’est « pour l’amour de l’humanité. » Si l’on ne peut pas dire que Voltaire ait aimé les hommes, il a aimé l’humanité. Son irréligion même, qu’il tient sans doute en partie de sa naissance et de son éducation première, c’est la fausse idée qu’il se fait du rôle de la religion dans l’humanité qui l’a développée, nourrie, exaspérée en lui. Là, dans les replis de cette idée, est le nœud de son caractère, l’unité de son œuvre, et l’identité de son être par-dessous ; la diversité de ses métamorphoses. Là aussi est le seul service dont je lui serais reconnaissant, si d’ailleurs, comme on le va voir, il ne nous l’avait fait assez chèrement payer.

Mais, auparavant, à cette même idée d’Humanité, il en faut rattacher une autre : c’est celle de la grandeur, et, — s’il ne s’agissait pas ici de Voltaire, — je dirais, c’est celle de la sainteté de l’Institution sociale. Pour supporter leurs maux, ce que les hommes ont encore inventé de mieux aux yeux de Voltaire, c’est de les mettre en commun, et la société seule est capable de nous consoler de la misère de notre condition. C’est l’idée qu’il soutenait déjà, en 1728, dans ses Remarques sur les pensées de Pascal, et c’est celle qu’il défend encore, après quarante ans passés, en 1768, dans son A B C. Lisez aussi le Mondain et les premiers chapitres de l’Essai sur les mœurs. Conservateur en tout, sauf en religion, — c’est le mot de Vinet, — et même réactionnaire, pour parler la langue d’aujourd’hui, rien n’a paru plus scandaleux à Voltaire que La prétention d’un Rousseau voulant refondre l’humanité. De tous nos instincts, il n’y en a pas à ses yeux qui nous soit plus naturel que l’instinct de sociabilité. Nous sommes faits pour vivre en société, comme les oiseaux « pour faire des nids, » comme les abeilles « pour faire du miel ; » nous y avons toujours vécu, nous y vivrons toujours ; et si la vie a un sens, si la morale a une règle, si l’action a un