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périodique et celle où les idées sont simplement liées comme par un fil. La période est une construction forte et logique, qui rassemble, et concentre les idées secondaires autour de l’idée principale dans l’unité d’une phrase coulée d’un seul jet. L’autre manière de parler est la forme naïve et ancienne : c’est aussi celle d’Hérodote, qui aligne des idées les unes à côté des autres en se bornant à les relier par des particules très simples ou par des répétitions de mots un peu gauches. Très souvent ses phrases sont courtes. Quelquefois, cependant, elles sont longues ; mais elles ne sont pas pour cela périodiques, car les différens membres de ces longues phrases sont simplement juxtaposés, pour ainsi dire, et l’on pourrait s’arrêter ici ou là sans difficulté : rien, dans la structure de l’ensemble, n’oblige l’esprit à courir d’un seul élan jusqu’au bout. Cette manière d’écrire donne au style un abandon qui a beaucoup de charme, surtout quand des rythmes cachés, presque poétiques, ajoutent à la douceur de ce mouvement la sensation obscure d’une sorte de musique.

Dans le détail même de chaque phrase, il y a, chez Hérodote, peu de ces inversions qui soudent, en quelque sorte, les mots ensemble : l’ordre suivi est très souvent l’ordre analytique du français, qui a l’air, en grec, de délier les parties de la phrase et de les égrener. Point d’oppositions symétriques à la façon de Thucydide ; rien qui sente l’effort logique de la pensée pour combiner et construire. Denys d’Halicarnasse s’est amusé à modifier légèrement une phrase d’Hérodote pour lui donner l’air d’une phrase de Thucydide : il n’a eu, pour opérer cette sorte de transposition, qu’à y introduire un peu plus de symétrie logique et quelques inversions ; aussitôt, l’air d’abandon gracieux disparaît et fait place à une rigueur plus oratoire.

Même caractère général dans la suite et le courant du discours. De petites phrases mises les unes à côté des autres peuvent donner des impressions très différentes selon le rythme général qui les anime. Chez tel ou tel de nos écrivains français, cette manière d’écrire est vive et pressée, ou agile avec grâce, ou impérieuse et forte. Chez Hérodote, elle est souple et un peu flottante, sujette parfois aux digressions (comme la composition de tout l’ouvrage), gracieuse et facile avec quelque mollesse, mais capable aussi d’émotion et de grandeur selon les circonstances. Le ton qui domine est celui d’une bonhomie familière et simple ; alors, le mouvement du style a beaucoup de laisser-aller. Ailleurs, le ton s’élève ; un accent religieux, parfois mélancolique, s’y fait entendre ; le rythme de la phrase traduit aussitôt cette émotion : l’élocution devient sentencieuse ; chaque membre de phrase, pareil à un oracle, tombe