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que les faits auxquels elles se rapportent, et qu’Hérodote, d’autre part, hellénise toujours un peu les hommes et les choses dont il parle. Chez lui, l’histoire de Cyrus est en partie fabuleuse ; Crésus ressemble à quelqu’un des sept sages de la Grèce ; Darius et Xerxès, avec des parties qui sont bien orientales, en ont d’autres qui sont toutes grecques et tout ioniennes.

Les mêmes observations s’appliquent, dans une certaine mesure, à la manière dont Hérodote raconte les choses grecques. Pour les périodes anciennes, ce n’est pas, comme pour l’Orient, l’impossibilité de comprendre les documens qui le paralyse ; mais c’est l’absence ou, du moins, la rareté des documens ; car l’histoire grecque aussi, dans les premiers siècles, est une histoire toute poétique, assez semblable (sauf quelques points fixes et bien établis) à celle qu’il recueillait en Orient dans les sanctuaires. Avec les périodes récentes, à partir du VIe siècle et surtout des guerres médiques, les choses changent. Les témoignages contemporains se multiplient, les faits positifs sont nombreux. L’histoire d’Hérodote gagne alors singulièrement en solidité. Cependant, il importe de bien mesurer cette solidité. L’ensemble est vrai, et ce qui le prouve, c’est la clarté même du récit : les événemens, selon la juste remarque d’un historien (M. Curtius), « sont présentés par Hérodote dans une connexion si naturelle que nous pouvons le prendre pour un garant irrécusable, même alors qu’il ne nous est pas possible de contrôler son récit des guerres persiques par le rapport d’autres contemporains. » Mais si la contexture générale du récit est inattaquable, le détail est parfois sujet à caution. Il y a trop d’oracles réalisés, trop d’apparitions de héros, trop de miracles, trop de ces mots qu’on invente après coup, trop de précision dans la peinture de scènes qui n’ont pu avoir que de rares témoins. Quand on lit ces pages vives, brillantes, amusantes, on sent que le fond est vrai, mais que c’est de la vérité volant de bouche en bouche pendant deux générations, embellie et complétée par chaque narrateur, teintée de merveilleux par l’imagination populaire et recueillie par le pieux et candide historien avec plus de curiosité que de critique. C’est de l’histoire qui s’est faite toute seule et qui n’a pas encore été passée au crible. Nous sommes fort loin de Thucydide, à tous égards.

Dans les combats, ce qui attire surtout l’attention d’Hérodote, ce sont les belles actions individuelles, un acte de bravoure, un stratagème heureux. Les causes plus éloignées, mais plus profondes de la victoire ou de la défaite, la tactique adoptée, surtout l’organisation des armées en présence, n’attirent son regard que par occasion, pendant de courts instans. Dans le récit de la bataille de Platée, par exemple, il y a quelques mots instructifs sur le désordre des Perses et sur l’insuffisance de leur armement ; mais il