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moderne. On pourrait multiplier les exemples de cette sorte indéfiniment ; il y en a une foule chez Hérodote ; il y en a même de beaucoup plus graves ; mais c’était à peu près inévitable, et ce n’est pas diminuer sa gloire de voyageur que de les constater. En revanche, il a souvent bien vu, et rien de plus net, de plus exact (quant aux grandes lignes) que certains de ses tableaux : l’aspect général du Delta, les Pyramides, l’inondation du Nil, le papyrus, la plaine de Babylone, lui ont fourni le sujet de descriptions aussi vives que fidèles. Hérodote, en somme, ouvre les yeux et sait regarder ; c’est un esprit curieux, avisé, clairvoyant. Mais c’est un voyageur du Ve siècle avant l’ère chrétienne, qui passe vite au milieu d’une foule de choses nouvelles et étranges, sans éducation scientifique, sans livres, sans instrumens, sans avoir nos habitudes modernes de précision, et qui, de la meilleure foi du monde, mêle beaucoup d’à-peu-près à des indications très justes.

Le problème était encore plus compliqué pour les informations qu’il empruntait à autrui, soit par des lectures, soit par ouï-dire. Ses recherches devaient porter sur les sujets les plus variés : toute la Grèce, tous les peuples barbares, presque, figurent dans son ouvrage, non-seulement pour la part effective qu’ils avaient récemment prise dans les guerres médiques, mais souvent aussi, grâce à la curiosité rétrospective de l’historien, pour une partie au moins de leur histoire antérieure, à laquelle s’ajoutent de nombreuses indications géographiques : son livre est un raccourci de tout le monde ancien. Pour s’informer sur toutes ces choses si difficiles à bien connaître, quelles étaient les sources où il pouvait puiser ?

L’histoire de l’Egypte, celle de l’Assyrie et de la Perse étaient conservées en grande partie, soit dans des inscriptions que la science moderne déchiffre, soit dans des livres aujourd’hui perdus. Hérodote n’a pu se servir d’aucune de ces sources de renseignemens : il n’avait nul accès aux livres officiels des rois de Perse ; il ne pouvait ni lire ni comprendre les inscriptions, pas plus celles de l’Egypte que celles de l’Asie. Il n’avait qu’une ressource : interroger les gens du pays, de préférence les plus savans ou ceux qui passaient pour tels, en particulier les prêtres, gardiens des vieilles traditions et des vieux souvenirs, puis les drogmans et les cicérone qui montraient et expliquaient les monumens du pays (car il y avait déjà des touristes grecs qui couraient le monde, sans compter les marchands, les pèlerins, les aventuriers de toute espèce). — Pour l’histoire ancienne de la Grèce, il y avait les écrits des poètes et des logographes, témoins utiles des faits contemporains, narrateurs fort suspects des événemens antérieurs ; il y avait surtout encore les sanctuaires, avec leurs riches trésors d’offrandes, de monumens, d’inscriptions de toute sorte, archives pittoresques,