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quelque temps auparavant, dans la Cité de Dieu : « L’empire est éprouvé, il n’est pas détruit. Ne désespérons pas qu’il se relève ; car qui sait la volonté de Dieu ? Romanum imperium afflictum est potius quam mutation. »


II

Il fallut bien pourtant se résigner à croire qu’il était perdu. L’invasion avait pris cette fois un caractère nouveau. Ce n’était plus un torrent qui passe ; les barbares songeaient à former des établissemens durables, et l’on ne pouvait plus espérer que, le flot écoulé, tout recommencerait comme auparavant. Les empereurs eux-mêmes semblaient comprendre cette situation et l’accepter. On ne voit pas qu’ils aient fait de bien grands efforts pour chasser les barbares des pays dont ils s’étaient emparés.

Qu’allaient devenir les anciens sujets de l’empire, que l’empire semblait abandonner à leur sort ? Ils n’avaient guère le moyen de résister tout seuls, et ils étaient bien forcés de se soumettre. Ils ne l’ont pas fait pourtant du premier coup, et il leur a fallu quelque temps pour prendre leur parti de la ruine de l’empire. Cet état d’incertitude et d’hésitation par lequel ils ont passé, avant de se faire au régime nouveau, me paraît assez bien représenté par Orose.

L’Espagnol Paul Orose est un des écrivains dont l’étude est le plus utile à ceux qui veulent bien connaître cette époque. Ce n’est pas qu’il soit par lui-même un grand esprit et un observateur bien profond. Il était de ces gens qui naissent disciples ; peu capable de donner une impulsion aux autres, mais très susceptible de la recevoir, il pouvait, en sous-ordre et bien dirigé, rendre de grands services. Le jour où un hasard mit Orose en présence de saint Augustin, sa vie fut fixée. Il nous a raconté que, pour fuir un danger qui le menaçait dans son pays, il s’était jeté dans un navire prêt à partir, sans même demander où il devait le conduire. Le navire aborda dans un port de l’Afrique, et c’est ainsi que saint Augustin et lui se rencontrèrent pour la première fois. Orose se fit son collaborateur dans les grandes luttes sur la Grâce, et alla combattre Pelage jusqu’en Orient. Nous avons dit comment il se chargea, à la demande de son maître, de composer l’Histoire universelle, qui devait servir de complément à la Cité de Dieu.

L’Histoire d’Orose, avec tous ses défauts, est un livre considérable où tout le moyen âge a puisé la connaissance du passé. Sa réputation a même survécu à la Renaissance, puisqu’il a eu vingt-six éditions au XVIe siècle. Pour se rendre compte de ce succès, il