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les qualités ou les attributs de l’Être supérieur en qui se résout le monde divin. C’est l’évolution dont les traces s’observent presque partout dans le polythéisme antique. De leur côté, les dogmes et les sacremens peuvent toujours être ramenés par le symbolisme à une interprétation en harmonie avec les progrès de la conscience et de la raison. C’est la tâche à laquelle s’est vouée, — depuis Schelling et Hegel en Allemagne, Coleridge et Maurice en Angleterre, — une fraction notable de la théologie protestante, avec un succès qui eût été sans doute plus grand si cette école n’avait rompu avec les droits de la vérité historique, en s’obstinant à projeter dans le passé des interprétations inspirées par le présent.

On peut concevoir un état religieux où tous les cultes deviendraient purement symboliques. Rien ne les empêcherait de conserver avec un soin pieux les rites et les traditions de leur héritage ; seulement ils en feraient surtout les symboles des vérités communes à toutes les religions, et, par suite, ils pourraient se traiter les uns les autres, — comme on le voit entre les rites de certaines églises, — en formes locales et également légitimes de la religion universelle.

Un pareil syncrétisme semble, à première vue, fort éloigné de nous. Il impliquerait l’aveu que toutes les religions ont leur part de la vérité, mais qu’aucune ne la possède tout entière. Or tel n’est guère le langage des grandes Églises contemporaines, à commencer par celles qui nous touchent de plus près. Cependant, il faut observer que, en pratique, leurs adeptes vivent entre eux comme si la divergence de doctrines se réduisait à une diversité de symboles. Parfois on voit même leurs chefs respectifs, — fait inouï aux siècles précédons, — coopérer, sur un pied d’égalité, à des œuvres de philanthropie ou de paix sociale, comme s’ils reconnaissaient que la charité et la justice offrent un terrain commun à l’activité religieuse. Enfin, l’attribution d’une valeur relative, — ou symbolique, ce qui est la même chose, — à tous les cultes indistinctement sert désormais de base aux rapports normaux de l’État avec les Églises dans les pays qui s’inspirent du droit moderne. Que cette notion, déjà ancrée dans nos lois et dans nos mœurs, se fasse accepter par les consciences, et, pour la première fois dans l’histoire, le monde pourra jouir d’une paix religieuse, fondée non sur l’unité des formes et des formules, mais sur l’admission de ce que toutes les religions renferment de vrai et de fécond sous la variété des symboles.


GOBLET D’ALVIELLA.